Impossible de résumer de manière correcte le flamboyant roman du colombien Gamboa, et tout aussi impossible de décrire ce que l’on ressent à sa lecture. Tout au plus puis-je annoncer qu’on tient là un des romans les plus ambitieux et impressionnants du moment.
Un jeune écrivain colombien est invité à un congrès à Jérusalem sur la mémoire en littérature. D’abord étonné par la proposition, il finit par accepter et se retrouve, au coeur d’une ville tourmentée, en compagnie de »collègues » tout aussi tourmentés : un ex-prisonnier allumé ayant retrouvé la foi, une star du porno italien qui s’essaie à l’écrit pour narrer ses exploits professionnels et personnels, un libraire dépressif et passionné, etc…l’un d’entre eux retrouvé mort, veines tailladées, va précipiter notre jeune auteur dans une enquête complètement délirante.
Posons d’entrée le concept : Gamboa se fout un peu de jouer les Agatha Christie contemporains, il utilise son intrigue policière à tiroirs pour offrir à ses personnages un espace de création remarquable. Tous se livrent, partagent les anecdotes de leur existence, chacun avec son style, son ton, son humeur. Ce qui donne lieu à de fascinants chapitres sur la folie de l’extrémisme religieux, des passages crus et hilarants sur les ébats de notre porno-star, et des tirades érudites hallucinantes de la part des plus lettrés des participants au colloque.
Au milieu d’une ville en proie à un début de chaos, ils mixent leur voix pour atteindre une espèce de bilan réflexif sur leurs vies, et sur nos existences. Entre la baise, la religion, la politique, l’amour et la mort, il n’y a qu’un peu de liant de cruauté et de cynisme pour obtenir une mixture ressemblant à notre quotidien et nos idéaux.
Cela paraît abscons et délicat dit comme cela, mais c’est faire fi du style si particulier de Santiago Gamboa, qui nous avait déjà étonnés dans son magnifique Syndrome d’Ulysse : adaptant à chacun de ses protagonistes des chapitres particuliers, entre écriture proustienne et délire à la San-Antonio (en encore plus trash…), Nécropolis 1209 devient un véritable tour de force littéraire, dont l’ambition maîtrisée le rapproche du dernier roman d’anticipation de Will Self Le Livre de Dave, autre chef-d’oeuvre de cette rentrée littéraire.
Si l’on oublie rapidement quelques longueurs négligeables, on ne peut qu’être ébouriffé par le talent de Gamboa à faire vivre ses acteurs, à les faire évoluer en total équilibre dans des histoires qui menacent de vaciller à chaque page, et, au final, de réaliser un cauchemar lettré, fulgurant et impitoyable. Du très très grand art.
Jean-François Lahorgue
Nécropolis 1209, de Santiago Gamboa
Traduit de l’espagnol par François Gaudry
Editions Métailié, 412 pages, 22 €¬
Date de parution : septembre 2010.
ben ouais,ça avait tout pour me plaire mais ça m’est tombé des mains (90 pages)…le bonhomme a du style pourtant et j’avais kiffé son « Perdre est une question de méthode » …