Alain Guyard est philosophe mais enseigne plutôt sa discipline dans des hopitaux psys, des prisons. Son personnage, Lazare Vilain, est philosophe et se décide à dispenser son savoir à des taulards plutôt corsés. Vous l’aurez saisi, c’est en toute connaissance de cause que, La zonzon plonge dans l’univers carcéral et une éducation fragmentaire donnée à des pensionnaires qui n’en ont, a priori, que foutre.
Et le roman y plonge de manière quasi-documentaire, dès ses premiers chapitres, pour rapidement évoluer vers le roman noir codé, tout en maintenant son engagement social et ses bons mots assenés avec des gants de boxe. On est donc loin du classicisme avec Guyard, qui s’échine à dépeindre un milieu à la fois très étudié mais toujours un peu inconnu pour le commun des mortels au casier judiciaire vierge : ce milieu carcéral mystérieux, à la fois sujet mythologique et endroit inconfortable, objet de fascination mais surtout de répulsion, auquel il semble difficile d’y ajouter une attirance, de la part des prisonniers qui y séjournent, pour les pensées de Platon ou Sorel.Mais Lazare Vilain ne se laisse pas abattre : des premières séances un peu chaudes, il va petit à petit, à coups de citations philosophiques ancrées dans la réalité sociale actuelle, et d’exemples bien choisis, se laisser apprivoiser par ces élèves un chouîa inquiétants, et les amener à se sentir philosophes le temps d’une notion évoquée, d’une interrogation existentielle, ou d’un débat d’idées autour du cul, de la liberté ou de la vengeance.
Connu sur le web ou dans certaines publications pour ses billets philosophiques rédigés de manière cinglante avec pas mal de vocabulaire argotique, La Zonzon, première réelle fiction pour son auteur, s’accapare la même veine littéraire chère à Frédéric Dard ou Alphonse Boudard pour suivre les aventures pas catholiques de ce prof en cellule qui n’a d’autre moyen, pour cotoyer au plus près les marlous et de s’en faire accepter, d’en devenir presque un. C’est donc, après une première partie qui s’attache au milieu, au concept et aux personnages, une véritable intrigue policière qui se construit, comme un scénario d’Audiard défilant sur près de 300 pages, qui comme tout polar digne de nom, finira mal – ou bien, dépend pour qui…
Mais c’est surtout un polar drôle, foutraque avec de bons mots bien sentis, et une peinture sociale en second plan qui ne manquera pas de baffer les ahuris, conforter les engagés, et filer des uppercuts à la probable majorité des lecteurs, plus habitués aux essais et romans à thèse au sujet des prisons que des règlements de compte sanglants en déclamant du Spinoza. Un régal.
A l’heure où cet article va être publié, j’apprends que le roman est dans la sélection du Prix de Flore 2011. Espérons que la bande de Beigbeder saura laisser son dandysme de côté et récompenser à bon escient un roman décalé, sombre et drôle, politique et revanchard.
Un roman qui fait du bien, donc.
Jean-François Lahorgue
La Zonzon, de Alain Guyard.
Le Dilettante, 296 pages, 20 €¬ environ
Date de parution : aout 2011.