Les premiers disques solo de Michel Cloup étaient magistraux. Ici et là-bas est d’une autre catégorie, celle des disques forts qui nous rendent dignes.
D’où vient la force d’un grand disque ? D’où vient cette attirance irrésistible ? D’où vient cette pleine reconnaissance ? De sa symétrie évidente avec une époque ? De son empathie avec nos sociétés ? de sa défiance à l’égard du frileux ?
Un peu de tout cela à la fois et bien plus encore pourrait-on dire. Un grand disque est un objet comme un témoin de son temps mais qui sait conserver son indépendance.
Avec son troisième disque presque solo, Ici et là-bas, Michel Cloup rentre dans la catégorie de ces auteurs aux grands disques forts. Certes, bien entendu, on ne s’est toujours pas relevé de #3 avec Diabologum.
Certes, ses deux albums précédents et le live qui venaient les prolonger étaient des œuvres magistrales mais Ici et là-bas est d’une autre catégorie. Celle de ces visions qui redonnent du sens, de la dignité dans ces périodes où les idéaux hésitent entre le repli sur soi, la fange haineuse et le nihilisme de ceux qui se font exploser à la terrasse de nos cafés, dans les couloirs des aéroports.
Chez Michel Cloup, vous ne trouverez pas de diagnostic ni de traitement à une société malade d’elle-même mais plutôt le regard à la fois tendre et clinique sur ce qui nous entoure. Un constat comme un bilan de ce qui nous rend incapables. Mais il y a plus que cela encore, il y a ce retour sur son parcours familial qui vient éclairer les petits coins sombres de nos existences.
Chez Cloup, il y a des persistances obsessionnelles, le rapport à la parentalité, la filiation. On se rappellera longtemps cette pièce blanche dans Notre Silence, cette voix neutre aux mots économes jamais si éloignée d’un Meursault ou d’un Bardamu. Ce réalisme qui touche au banal, qui cousine avec le banal et le rend finalement si commun qu’il en devient si proche de nous.
Côté structure, le procédé reste finalement le même. Minimal et sec, rêche et âpre, musicalement, on y croise ses marottes habituelles pour des apesanteurs électriques. Même structure certes mais un nouvel acteur aux côtés de Michel Cloup, en la personne de Julien Ruflé à la batterie. Ce qui est nouveau aussi ce sont aussi ces tentatives presque groovy comme sur Ici et là-bas ou les drones de cette splendeur qu’est Une Adresse En Italie.
Ce qui est nouveau également, c’est cette hargne engagée mais pas de ces engagements bétas ou trop appuyés. Chez Michel Cloup, c’est une analyse discrète sur la paupérisation, la gentrification, le renoncement de ceux qui prétendaient représenter la classe ouvrière. Dans cette société où le collectif comme une force a disparu, où l’individu est plus que jamais à bannir, Nous qui n’arrivons plus à dire nous mais qui osons prétendre dire être encore vivants.
Le propos semble plus ramassé avec cette concision inédite. Les morceaux sont pour la plupart courts et incisifs, on ne se laissera pas pour autant piéger par le lieu commun de l’urgence à l’écoute de ces onze titres car chez Michel Cloup Duo, ce qui prime, c’est de diluer la complexité des choses, de simplifier les interrogations et d’ouvrir le questionnement à d’autres questionnements.
Des Deux-minutes vingt-cinq qui disent beaucoup et évoquent le Seventeen Seconds des Cure ou Séparer comme l’exact résumé de ce qu’est notre société cloisonnée, Michel Cloup prouve une fois encore sa perception sensible de nos petits travers. Il est des rages adolescentes, frénétiques mais vite épuisées. Il en est d’autres comme des assurances d’être fidèle à ses fondamentaux, à ce qui constitue l’individu. Celle de la fierté de ses origines comme ce Nouveau En Ville, plein de morgue et de colère de l’en dedans.
On retrouve chez le toulousain cette science des autres que l’on retrouve chez son voisin de label et ami Pascal Bouaziz. Le lyrisme est étrangement sec chez l’ancien Diabologum, Point d’odyssée grandiloquente chez lui mais un voyage aux Polaroids jaunies comme sur cette longueur assumée et nécessaire sur Une Adresse en Italie. Cette belle traduction de ces moments par lesquels on passera tous, le tri des objets de ce que fut la vie d’un proche, de ses parents. Cette nécessité de retour sur les souvenirs, de bilan . Cette acceptation de ce que l’on est grâce à ce que l’autre a forgé en nous. Savoir assagir en soi ses colères perpétuelles. Devenir enfin l’égal de celui qui n’est plus.
Profitons peut-être de cette sortie d’album majeur pour dire tout le bien que l’on pense de l’excellence du label Ici D’Ailleurs qui ne se résume pas à constituer un catalogue d’artistes (pour ne citer qu’eux, Les Marquises, Matt Elliott, Mendelson…) mais à constituer une œuvre difficile et risquée, loin, très loin d’une certaine frilosité convenue. Une oeuvre comme une forme de militantisme, comme un poing levé. Ici et là-bas, c’est justement un peu cela. Un poing levé sans arrogance mais avec fierté à l’image de cette phrase qui conclut le disque :
Je reste car ce n’est pas le moment de s’enfuir
Avec Ici et là-bas, On ne pourra plus qualifier seulement Michel Cloup d’ex Diabologum. Avec ce troisième disque, il fait bien plus que de créer onze nouvelles chansons, il se forge son identité particulière et originale, il se fait un nom et un seul, Michel Cloup
Greg Bod
Michel Cloup Duo – Ici et là-bas
Label : Ici D’ailleurs
Sortie : 1er avril 2016