Jean-David Morvan et Roberto Melis nous offrent la surprenante alliance d’une comédie japonaise loufoque à l’ironie souvent cruelle et d’un drame romantique.
Lors d’une exposition universelle à Tokyo (1922), un Européen aborde une jeune fille japonaise et lui propose de visiter l’île d’Enoshima. Envoyé extraordinaire de la « Commission morale et sociale du bureau de la Société des Nations » pour mener une enquête sur la condition des femmes, notre jeune héros aime les femmes et les aventures passagères.
Jean-David Morvan adapte le roman de Thomas Raucat. De son vrai nom Roger Poidatz, ce polytechnicien a publié, en 1924, L’Honorable Partie de campagne à son retour d’une mission de deux ans au Japon. Lui aussi aimait les femmes – son pseudonyme est une variation du japonais Tomaro Ka qui signifie : « Ne m’arrêterais-je point ici ? », avec le sous-entendu : « On va à l’hôtel ? » – et le Japon : il a tenté d’en comprendre les subtilités.
Le roman plaira en France, moins au Pays du soleil levant. Il décrit une tentative, contrariée, de rendez-vous galant dans une pimpante station balnéaire. Chaque chapitre est raconté par un personnage différent, nos héros, un industriel, un chef de gare ou une geisha. Raucat nous initie aux extraordinaires subtilités de la société japonaise, qui s’ouvre, depuis peu, à la modernité, les rapports codifiés entre générations et classes sociales, les règles de bienséance, la condition des femmes, le prestige de l’étranger, la tutelle lointaine de l’empereur et la force implacable des traditions. Il rappelle, en plus cruel, Stupeur et Tremblements, le roman d’Amélie Nothomb (1999). Honnête, Poidatz admettra qu’il n’a peut-être rien compris.
Le très fin dessin de Roberto Melis est d’une grande élégance. Réalisé au lavis gris bleuté ou ocre, rehaussé de touches rouge vif, il joue avec les codes des estampes nippones. Un découpage varié, avec des pleines-pages, nous offre de magnifiques panoramas de ce pays, tout en s’attardant sur la beauté mélancolique des jeunes femmes. Les passages avec le chef de gare ou la réunion dans le onsen (établissement de bain chaud) sont inoubliables.
Le changement de ton final est inattendu et brutal, mais la conclusion, avec une admirable et déchirante ode à lune, est magnifique.
Stéphane de Boysson