Poursuivant la réédition des œuvres complètes de Daniel Clowes au sein de leur « bibliothèque de Daniel Clowes », Delcourt nous offrent cette fois avec Pussey ! une caricature aussi drôle que violente de l’univers sans pitié des comics US. Edifiant !
On a déjà eu un avant-goût de l’esprit caustique de Daniel Clowes avec la première réédition de Eightball, où il tirait littéralement sur tout ce qui bougeait autour de lui, avec autant d’humour (noir) que de virulence, et un résultat qui pouvait plaire ou rebuter, selon les goûts. Pussey ! se situe dans le même registre, celui de l’autobiographie sans complaisance, assortie d’une sorte de volonté de règlements de comptes assez implacable.
Pussey (Dan de son prénom) est une sorte d’alter ego de Clowes, qui permet à l’auteur de se dépeindre comme un minable, complexé et pusillanime, dont la réussite ne devra finalement qu’au hasard, et ne pourra être que temporaire : c’est cette grosse dose d’auto-dérision qui rend Pussey ! beaucoup plus agréable à lire, et finalement plus convaincant que la plupart des chapitres de Eightball : on sait bien que rire de soi-même est plus élégant que de se moquer des autres, et ce pour un résultat qui est finalement le même… Ici, il s’agit de dépeindre sans fards (et sans illusions) l’univers impitoyable de la création de comic books au siècle dernier, et aussi, bien entendu, de régler des comptes avec toute sorte d’êtres nuisibles que Clowes a fréquentés au cours de sa carrière, et dont il a souffert : patrons tyranniques, manipulateurs et exploiteurs, collègues (dessinateurs, scénaristes, etc.) ambitieux, peu doués mais sans scrupules, critiques d’art prétentieux, éditeurs insupportables, fans libidineux, collectionneurs- spéculateurs, on en passe et des meilleurs…
Devant cette galerie de portraits à charge, pas loin d’être un musée des horreurs, on en arrive à détester littéralement cet univers mesquin, gangréné par les valeurs matérialistes d’un côté, et par d’absurdes dérives « artistiques » de l’autre. On repense du coup à certaines caricatures du monde du manga au Japon, où les mêmes travers sont dénoncés, en se disant que plus d’un demi-siècle plus tard, rien n’a changé. On se dit aussi qu’il serait intéressant d’avoir des témoignages aussi lucides, aussi sincères sur le fonctionnement des studios de BD franco-belge dans les années 50 – 60, que l’on se représente plutôt comme une bande de copains travaillant dans un esprit de collaboration et de franche camaraderie… Qu’en était-il vraiment ?
Là où Clowes marque réellement le plus de points, c’est dans l’amère conclusion de toute cette bien triste histoire qu’aura été la vie de Dan Pussey : alors qu’il passe l’arme à gauche dans l’équivalent d’une de nos EHPAD, et que plus personne ne se souvient de lui ni de son œuvre, ses précieuses reliques sont jetées négligemment dans un vide-ordures, et tout le monde a oublié ce qu’était la Bande Dessinée. Une vision terriblement noire sur l’inutilité complète d’une existence, à peine tempérée par l’image d’un homme qui, désœuvré, s’empare d’un crayon et commence à dessiner, sans comprendre pourquoi il le fait…
Cette conclusion d’une grande force permet à ce nouveau livre « à charge » de marquer durablement son lecteur.
Eric Debarnot