[Live Report] Bar Italia et triage à la Cigale (Paris) : les enfants du Velvet se portent bien, merci !

Bar Italia représentent la frange la plus expérimentale, déconcertante, de la nouvelle génération « d’enfants du Velvet ». On les attendait donc avec méfiance, mais ils ont su, hier soir, gagner notre cœur, et faire danser les 1400 spectateurs présents.

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Bar Italia à la Cigale – Photo : Robert Gil

On ne peut pas dire que l’ascension de Bar Italia ait été aussi soudaine que ça, par rapport à de nombreux petits groupes anglais propulsés sous les spotlights avant même d’avoir publié un seul album : le groupe londonien existe depuis 5 ans déjà… mais les choses se sont clairement accélérées en 2023 avec la publication de deux albums très bien reçus par la critique, Tracey Denim et The Twits. Les concerts qui ont suivi ont laissé pas mal de spectateurs dubitatifs, mais, après tout, les groupes clivants ne sont-ils pas l’une des choses qui nous font continuer à aimer le Rock après tant d’années ? D’où notre présence ce soir dans une Cigale bien remplie, presque à la jauge. Avec un public agréablement jeune, ce qui fait évidemment plaisir à voir.

2024 06 20 Triage Cigale RG (4)20 h : triage, c’est un quintette anglais encore à peu près inconnu – et le fait qu’il y ait déjà eu une multitude de groupes ayant utilisé ce nom ne favorise pas la recherche sur le Net. Ce qui est amusant, c’est qu’ils jouent sur scène dans la même configuration physique que Bar Italia (à la fin de leur set de 25 minutes, un spectateur alarmé – et peu au fait de Bar Italia visiblement -, nous demandera d’ailleurs : « C’est déjà fini, Bar Italia ? ») : une grande jeune femme au centre, entourée de deux guitaristes, avec derrière eux, sur l’estrade, une bassiste et un batteur. Ces (autres…) enfants du Velvet, chérissant l’obscurité, proposent une musique plus vague qu’abstraite, qui ne se matérialise jamais vraiment. On flotte entre des fragments de mélodies et de rythmes souvent languides, avec de (trop) rares moments d’intensité, mais sans que la tension ne monte suffisamment pour qu’on ait le sentiment de s’approcher d’une quelconque destination. C’est intrigant, séduisant même au début, mais assez vite lassant.

21h05 : après nous avoir régalés de classiques des Beatles, la sono s’enflamme sur de la disco, et c’est le signal d’entrée de Bar Italia. Le trio qui constitue Bar Italia, Nina Cristante au chant, Sam Fenton et Jezmi Tarik Fehmi au chant et à la guitare, est soutenu par une bassiste longiligne et un batteur survolté à la chevelure blanche spectaculaire, placés sur l’estrade. Il est indiscutable que cette section rythmique puissante confère à la musique de Bar Italia un caractère plus traditionnellement rock, moins flottant / hésitant, qui convient mieux au live.

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Nina porte une jupette écossaise rouge, très courte, et un haut bien échancré… ce qui, à une autre époque, aurait réjoui un certain public masculin dont on ne regrette pas la disparition ! Elle va passer le set entier à virevolter, sans vraiment varier ce jeu de scène charmant mais limité. Sam, à notre droite, va se montrer des plus réservés, même si certains jureront l’avoir vu discrètement sourire à la fin. Jezmi Tarik est clairement le plus expansif de tous, adoptant de plus en plus, au fil du concert, des poses rock’n’roll répondant à l’excitation croissante du public. De manière inhabituelle, mais finalement plaisante, la scène est bien éclairée, de lumières blanches, mais… complètement fixes ! Aucun mouvement des projecteurs, aucune variation d’intensité : ça surprend, mais ça correspond clairement à la singularité voulue par le groupe. Le son est adéquat même s’il aurait pu être plus fort, le public est d’emblée très enthousiaste, et, surtout, ce groupe qui avait acquis une réputation lors de sa précédente tournée française d’indifférence totale – et désagréable – vis-à-vis des spectateurs, va peu à peu se détendre, « oser » regarder leurs fans, sourire et interagir un minimum avec nous.

2024 06 20 Triage Cigale RG (4)Un miracle ? Plutôt l’effet bienfaisant sur tout le monde d’une heure et cinq minutes de bonne musique jouée avec conviction et reçue avec plaisir… Bon, la musique de Bar Italia n’a rien d’évident, avec ces morceaux tantôt trop courts qui s’arrêtent alors qu’on attend encore qu’ils démarrent, ou au contraire longs au point de finir par nous égarer. Entre tradition indie rock et expérimentation non contrôlée (on a l’impression en écoutant certaines chansons d’entendre tantôt un Sonic Youth qui aurait renoncé au « noise », tantôt un Galaxie 500 qui aurait choisi d’être pop), cette musique désarçonne, et ce d’autant que le chant, la plupart du temps « faux », peut surprendre, voire irriter. Mais les gens – et ils sont nombreux – qui aiment Bar Italia adorent au contraire ces constructions vocales à trois voix qui sonnent très « amateures ».

Dès le début du concert, enchaînant calm down with me et my little tony de The Twits, on réalise que les morceaux sont largement réinterprétés en live, au point de ne pas toujours être reconnaissables de prime abord. Et que, logiquement, le dernier album – plus « rock » que son prédécesseur – sera au cœur de la setlist – avec de larges extraits également de Tracey Denim, heureusement. Il faudra quand même une bonne demi-heure pour que le concert décolle réellement, ce qui nous donnera une soirée en deux temps : d’abord un round d’observation, puis un round d’excitation générale, sur scène comme dans la salle. Personnellement, on trouve, comme en studio, punkt réellement irrésistible, le changement de voix en cours de morceau, l’une des forces de Bar Italia, faisant un effet imparable !

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Le rappel de trois titres sera le couronnement logique d’un concert en permanente progression d’intensité : Friends, vaguement heavy et noisy, puis le plus calme mais très beau Missus Morality confirment le plaisir que l’on prend tous ce soir, mais c’est le dernier morceau, skylinny, qui mettra toute la fosse sens dessus dessous dans une ambiance torride : il restera la parfaite illustration de la transmutation musicale opérée sur scène, puisque la minute et demie que dure originellement le titre est transformée en un rollercoaster réjouissant dont on fait plusieurs fois le parcours. Sans avoir envie que ça s’arrête !

Bref, Bar Italia semblent abandonner peu à peu leur arrogance arty et leurs prétentions hyper-intellectuelles pour réaliser leur potentiel de groupe créatif, original mais populaire. La bonne nouvelle est donc que les « enfants du Velvet » continuent de faire la meilleure musique d’aujourd’hui. Et de demain…

Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil

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