Rétrospective Velvet Underground : 5. Live at Max’s Kansas City

Sorti de manière opportuniste après que Lou Reed ait entamé sa carrière solo, le Live at Max’s Kansas City retranscrit son ultime concert avec le Velvet. Il s’agit malheureusement d’un enregistrement « amateur » de piètre qualité, qui a donc une valeur historique plus que musicale.

Velvet Underground at Maxs Kansas City Image

Depuis le 24 juin 1970, à raison de deux sets plusieurs soirs par semaine, The Velvet Underground joue au Max’s Kansas City, au 213 Park Avenue South, Manhattan. Antre nocturne de la bohême new yorkaise, plaque tournante de la dope, on y croise Divine, Candy Darling, Wayne County, parmi tant d’autres créatures de la Factory. Un bouillon de culture urbaine à trois dollars l’entrée. La scène est au premier étage tout juste assez grande pour accueillir le groupe et son matériel. A l’époque des sessions de Loaded, le Velvet Underground en profite pour tester ses nouvelles chansons dont l’immense Sweet Jane. “Nous jouons simplement du rock’n’roll, les gens dansent et s’éclatent”, déclare alors Lou Reed au New York Times.

Velvet Underground at Maxs Kansas City pochettePour Lou Reed, c’est surtout une période très compliquée. Ce qui ne surprend guère au vu de cette personnalité tourmentée alors dans une mauvaise passe affective. Il commence aussi à s’inquiéter des dégâts engendrés par des substances diverses chez ses proches. Lui-même à l’époque n’est pas très frais, le musicien courant après les cachets de speed, dormant donc très peu, à peine quelques heures par semaine. Dans les coulisses, la tension ne cesse de monter avec Steve Sesnick qui embrouille son monde, son unique talent mais poussé à l’extrême. Rêvant de succès et de dollars, le manager exige que Lou Reed s’inspire aussi du jeu de scène de Mick Jagger. C’est bon de rire parfois. Pas longtemps. Une discussion explosive a lieu avec la Vipère spécialiste des coups tordus. Affaire classée. Un soir, c’est à son amie Maureen Tucker venue au Max’s Kansas City en spectatrice, que Lou annonce qu’il quitte le groupe. Las d’attendre en vain le succès avec « la brigade noire qui ne voit jamais le soleil » selon ses propres mots, la future légende du rock se résigne à rentrer bientôt chez ses parents à Long Island… Un boulot l’attend dans le cabinet comptable de son père, histoire de se refaire une santé. Vraiment ?

Le dimanche 23 août 1970, Lou Reed sait donc qu’il donne son dernier concert avec le Velvet Underground. Comme à son habitude, Brigid Polk, une vedette de la Factory, passe au Max’s ce soir-là avec Danny Fields, publiciste chez Atlantic Records. Cette bonne copine de Lou Reed a pour habitude d’emmener partout avec elle un petit magnétophone à cassettes afin d’enregistrer chaque moment de sa vie. Obsessionnelle, la jeune femme capte en mono cette ultime performance qu’elle revend rapidement au label à un très bon prix – certains parlent de 10.000 dollars – en dépit du son cradingue de la cassette de piètre qualité. Soirée profitable de toute évidence.

Velvet Underground at Maxs Kansas City CassetteLors de sa première sortie en 1972 chez Atlantic, qui espère alors profiter du modeste buzz dont bénéficie le premier album solo de Lou Reed chez RCA, le Max’s Kansas City fit un bide mémorable. Ne soutenant guère la comparaison avec le 1969 Live et d’autres pirates, cet album avait de quoi se perdre misérablement dans les bas-fonds du catalogue de la maison de disque. Avec le succès posthume du Velvet Underground, l’aspect testamentaire de la performance sauve définitivement le Live At Max s Kansas City de l’oubli. Le concert est maintenant disponible sous deux versions de bien meilleure qualité, l’une sur le label Rhino en 2004, l’autre dans le coffret Loaded, édition du 45e anniversaire.

« Bonsoir. On s’appelle le Velvet Underground. Vous êtes autorisés à danser au cas où vous ne le sauriez pas. Bon, je vois pas quoi trop ajouter. Cette chanson s’intitule I’m Waiting For The Man. C’est une tendre folk song qui date du début des années 50. Ça parle d’une histoire d’amour entre un homme et le métro. Je suis sûr que vous allez tous l’adorer. » Lou commence ainsi avec un Velvet Underground cachetonnant en groupe de bar. Avec le son du public, l’immersion est totale avec des bruits de verre, quelques applaudissements, des discussions dont une embrouille et surtout un groupe un peu loin. Le public réclame en vain la chanson Heroin, Lou Reed ne voulant plus la jouer. Aux côtés de Brigid, l’écrivain Jim Carroll commande un double Pernod, désormais légendaire, et parle de drogues entre les chansons. Une ambiance saisie sur le vif. Le spectacle est autant dans le public que sur la scène.

Sur la scène, Sterling Morrison, Doug Yule et son petit frère Bill, âgé de 16 ans, qui remplace Moe Tucker, alors jeune maman, accompagnent sans le savoir Lou Reed pour cet ultime concert d’une dizaine de titres. Quelques chansons rock alternent avec de belles ballades. Le chanteur parle et plaisante avec le public. Jusqu’à la confidence sur Candy Says : « C’est ma chanson préférée. Je n’ai pratiquement jamais eu l’occasion de la jouer. Je l’aime vraiment… Si j’ai l’air bizarre pendant qu’on la chante, c’est parce que je m’identifie comme un fou… L’une des raisons pour lesquelles nous ne la faisons pas tout le temps, c’est que nous avons beaucoup de mal à mettre nos ‘doo-doo-wahs’ au clair, mais les bons soirs … doo-doo-wah avec les meilleurs. » Avec Sterling Morrison, Lou Reed se livre à de bonnes parties de guitares (Sweet Jane, Lonesome Cowboy Bill). Quelquefois secondé par son sosie vocal Doug Yule (Beginning To See The Light), il chante avec une belle conviction, y compris les chansons « féminines » telles que Femme Fatale de Nico ou After Hours à la place de Tucker : « elle est à la maison, elle la chante bien mieux que moi. » Avec deux mois de concerts dans les bras, Bill Yule se déchaine tant bien que mal en suivant les signaux de son grand frère qui assure à la basse et au chant. Chichement remercié d’une bière et d’un sandwich à la viande chaque soir, le lycéen roule et cogne sans faire oublier les pulsations brutes de Maureen Tucker. Vous avez dit bastringue ?

Archive “dans son jus”, le Max’s Kansas City dévoile sans fards le Velvet Underground avec un son rugueux et primitif enregistré à l’arrache. Cette performance capte le chant du cygne (noir) de Lou Reed à la tête d’un groupe bientôt vaisseau fantôme à la dérive, prenant l’eau avant le naufrage dans les profondeurs. Ni fleurs, ni couronnes…

Amaury de Lauzanne

The Velvet Underground – Live at Max’s Kansas City
Label : Cotillion
Date d’enregistrement : 23 août 1970
Date de sortie : 30 mai 1972

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