[Live Report] Ty Segall et Earth Tongue à l’Elysée Montmartre : festival de guitare !

Oui, la musique de Ty Segall a évolué, et son approche actuelle, consistant en de longues jams très seventies, est décalée par rapport à la nostalgie manifestée par une partie de son public qui le préférait en garage rocker pop et psyché. Mais, à l’Elysée Montmartre hier soir, il nous a offert un merveilleux festival de guitare.

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Ty Segall à l’Elysée Montmartre – Photo : Robert Gil

Ces dernières années, il est indéniable que la trajectoire de Ty Segall, naguère héraut (et héros universellement célébré) du garage rock psyché, a pris un tournant surprenant : Ty est parti explorer de nouveaux territoires, expérimentant d’autres styles musicaux, moins immédiats, plus complexes. On est désormais loin de sa célèbre impétuosité et de son rock psyché lo fi généreux et échevelé. Son dernier passage en concert parisien avait d’ailleurs généré pas mal de critiques d’anciens adeptes qui trouvaient ce qu’il faisait désormais tout simplement ennuyeux. Heureusement, cela n’aura pas empêché l’Elysée Montmartre d’être sold out ce soir, alors même qu’une partie de son public « habituel » a pu préférer le set de Royal Blood à l’Olympia. Ce qui prouve que l’amour pour Ty résiste aux nouvelles errances du blond et jovial californien.

2024 06 22 Earth Tongue Elysée Montmartre RG (3)19h45 : Fans de la musique de Nouvelle-Zélande, nous sommes impatients de découvrir Earth Tongue, duo de Wellington respectant un format désormais bien (trop) connu : une guitare psyché bruyante, une batterie frénétique, et c’est tout ! La blonde Gussie est impressionnante avec sa guitare boostée par des effets psyché du meilleur effet, et ce d’autant qu’elle chante bien. Ezra à la batterie a un jeu spectaculaire et aime beaucoup hurler comme sur du heavy metal un peu basique. La musique qu’ils jouent n’a pas grand-chose de « néo-zélandaise », si l’on se réfère à la riche tradition indie-pop de l’île : on est plutôt fermement ancré ici sur le territoire de King Gizzard. Le problème est que, peu à peu, on a le sentiment que tout ça est répétitif, tourne en rond, et finit par s’avérer ennuyeux. Quelques rares moments plus intenses rallumeront la flamme, mais le tout se révélera malheureusement peu convaincant. Comme quoi, tous les ingrédients peuvent être excellents, et le résultat manquer franchement de saveur.

2024 06 22 Ty Segall Elysée Montmartre RG (1)20h50 : Le set débute par The Bell, le titre d’ouverture de Three Bells, le nouvel album : le son est impressionnant de qualité et de clarté, les lumières relativement acceptables, le trio de musiciens répond de manière quasiment magique aux directives de Ty Segall, chef d’orchestre guidant sa petite troupe du regard, mais aussi par son jeu de guitare. On se souvient que, après une ouverture calme, le morceau est construit comme un crescendo complexe en plusieurs phases, une structure particulièrement efficace sur scène. L’enchaînement – sans pause pour les applaudissements – sur Void, puis I Hear, et finalement Hi Dee Dee (avec ses mémorables « cris » de guitare), comme sur le disque, définit ce que sera l’heure et quarante minutes du set de ce soir : pour l’exprimer de manière simple – voire caricaturale -, Ty et son groupe, disposés en arc de cercle, avec le maître contrôlant d’un œil d’aigle (mais en souriant) le travail de chacun, nous offrent une sorte de « bœuf » joué par des musiciens virtuoses (quelque part, on peut y voir une approche « jazz » du rock), avec des passages très « classic rock des 70’s », comme en témoignent ces solos de guitares à la fois interminables et brillants de Ty et de son complice Emmett Kelly.

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Ty Segall, l’éternel bon garçon, a demandé comme toujours, qu’il n’y ait ni crash barrier, ni sécurité pendant son concert… un idéalisme sympathique, mais qui n’est pas toujours une bonne idée quand on voit comment certains membres du public, nostalgiques des débuts garage punks de Ty, ne se gênent pas pour brutaliser les plus faibles – et en particulier les jeunes femmes – dans la fosse. On a beau attirer l’attention des musiciens sur certains comportements déplaisants, il n’y a pas grand-chose, malheureusement, à y faire, et les encouragements de Ty à un comportement respectueux des autres ne sont guère qu’un vœu pieu face à la bêtise de certains. Ce genre d’incidents constituera un bémol indiscutable à une soirée d’un niveau musical très élevé : alors que Ty Segall joue désormais une musique demandant une écoute attentive, une (petite) partie de son public espère toujours du headbanging et des moshpits brutaux. Il y a là un décalage qui peut poser problème.

2024 06 22 Ty Segall Elysée Montmartre RG (10)Bon, n’exagérons pas non plus, le set sera de temps à autre transpercé de titres plus immédiats, histoire que les nostalgiques du moshpit puissent s’en donner à cœur joie et tous nous asperger de bière : même joués dans un esprit différent de celui ayant présidé à leur création, des morceaux comme Waxman, Imaginary Person ou Love Fuzz continuent à faire leur petit effet ! Mais c’est la longue « jam » enchaînant My Best Friend, My Room et Wait qui restera le moment le plus caractéristique du concert, avec un pur festival de guitare électrique comme on en entend peu de nos jours…

C’est alors que Ty nous sort de sa manche le seul titre de Hello, Hi, son effort acoustique, l’éthéré et magnifique Looking at You, un enchantement mélodique qui crée une rupture étonnante dans la tessiture du concert. La conclusion du set sur Denee est par contre tout à fait cohérente avec la nouvelle démarche musicale annoncée par Three Bells, le morceau – célébrant son épouse – étant l’un des plus instrumentaux et expérimentaux de l’album.

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Le court rappel enchaîne pour la joie de tous deux titres différents de ceux prévus sur la setlist : la belle chanson qu’est My Lady’s on Fire et la tuerie punk de You’re The Doctor, qui rappellera aux nostalgiques des jours plus sauvages.

Moralité : Ty Segall n’est plus là où il était à l’époque de sa grande gloire. Il est permis de le regretter, mais nous nous plaignons suffisamment des artistes répétant ad nauseam leur formule musicale pour ne pas célébrer quelqu’un qui évolue, surtout avec une telle grâce.

Texte : Eric Debarnot
Photos  Robert Gil

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