« Megalopolis » de Francis Ford Coppola : pour la beauté du geste…

Projet de toute une vie très mal accueilli sur la Croisette, Megalopolis compense ses faiblesses d’écriture scénaristique par la volonté toujours vivace d’expérimentation formelle de Francis Ford Coppola.

Megalopolis
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Megalopolis mérite d’être admiré juste parce qu’il existe. Au début des années 1980, le flop de Coup de cœur endette Francis Ford Coppola qui trimera longtemps pour se refaire financièrement. Son redressement se fera grâce au succès de Dracula, son seul long métrage post-Apocalypse Now estimé à la maison, et surtout grâce à son talent d’hommes d’affaires dans l’univers des vignobles. Grillé auprès des studios, il hypothèque une partie de ses vignobles et met 120 millions de dollars de sa poche pour financer un projet dont les studios ne veulent pas.

Du coup on se prend à rêver que, s’ils avaient eu un talent pour les affaires en plus d’un talent de cinéaste, Cimino aurait pu adapter La Condition Humaine et Lynch tourner de nouveau un long métrage au lieu d’une troisième saison de Twin Peaks comportant quelques épisodes excellents mais tirant en longueur.

La ville de New Rome est en crise. César Catilina (Adam Driver), architecte de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, rêve d’utopie alors que Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), maire de la ville, reste attaché à un statu quo régressif protégeant cupidité, privilèges et milices privées. Ce projet de toute une vie pêche hélas par son scénario écrit par Coppola seul. Or, si l’on excepte Conversation Secrète, ses meilleurs films sont des collaborations d’écriture ou tirés du scénario d’un/une autre. Les deux premiers Parrain et Rusty James ont été coscénarisés par un écrivain/une écrivaine. Apocalypse Now compte parmi ses coscénaristes le grand John Milius (L’Inspecteur Harry). Outsiders est le travail d’adaptation de la scénariste Kathleen Rowell. Le scénario de Megalopolis manque d’un deuxième regard qui aurait peut-être atténué ses aspects les plus datés.

Megalopolis n’est en effet pas totalement synchrone d’une époque actuelle dont il souhaite évoquer les défis. L’univers de New Rome ressemble au New York des années 1980 et non à ce que La Grosse Pomme est devenue. New Rome est une ville insécure divisée en quartiers riches et taudis pour pauvres là où le peuple a été totalement éjecté d’un New York actuel plus sécure depuis Rudy Giuliani. D’autant que l’univers décrit est celui de l’ancienne économie et de l’âge d’or révolu de la finance. La nouvelle économie manque dans un scénario qui prétend dresser un constat sur notre époque.

Le récit oppose une figure d’innovateur prométhéen inspiré des personnages des romans d’Ayn Rand (La Grève, Le Rebelle) à des politiciens matérialistes ou à des figures populistes lorgnant vers Trump. Il ne nie cependant pas les dangers de dérive idéologique d’un projet de changement susceptible en sus d’ignorer les aspirations à plus court terme du peuple. Il est ceci dit dommage qu’après avoir bien posé la problématique Coppola la résolve d’une manière simpliste sur la fin.

Représenter des univers américains fortunés avec en ligne de mire la décadence de la Rome antique a de plus déjà été fait de façon plus convaincante par Oliver Stone scénariste (Scarface), Scorsese ou… Coppola. La référence romaine donne cependant un certain charme aux décors et au look des personnages. Les ressorts narratifs de complots shakespeariens sont également usés car trop recyclés par les suiveurs du Parrain. Parce que le scénario passe du coq à l’âne et parce que certaines répliques sont ridicules (le bébé qui s’appellera Francis si c’est un garçon), certains/certaines ont de plus crié au nanar. Des réactions révélant que le terme est désormais aussi galvaudé que celui de chef d’œuvre.

Heureusement, le film rattrape en partie ses problèmes d’écriture sur le terrain des inspirations visuelles. Les chromas et des plans de personnages dans un décor gigantesque évoquent Coup de cœur, les références visuelles au muet -les surimpressions et fondus au noir- pas mal de Coppola post-1980, le surdécoupage de certains passages lorgne vers Gance et certains effets de style sont dans la lignée des passages en couleur de Tetro. Tout n’est ni beau ni réussi : les statues mouvantes rêvant de Méliès ou certains décors évoquant le très randien jeu vidéo Bioshock par exemple. Mais le film se maintient ainsi à flots.

Aux Etats-Unis, certains ont vu dans cette recherche visuelle avant-gardiste une erreur, car, selon eux, Coppola serait d’abord un grand héritier du classicisme. Ce qui revient à réduire à sa mythique saga mafieuse un cinéaste qui sut avec Rusty James utiliser l’arsenal visuel du vidéoclip pour travailler la question du temps et du souvenir… et préfigurer la veine contemporaine de Wong Kar-wai. Ou le cinéma de sa fille. Pour un film directement cité -les plans de nuages marquant l’écoulement du temps- par Gus Van Sant (My Own Private Idaho). Luhrmann (Moulin Rouge) et Chazelle (La La Land, Babylon) ont eux aussi cité la comédie musicale stylisée Coup de cœur au plan près.

Enfin, même raté, Megalopolis existe aussi par contraste avec le cinéma hollywoodien actuel. Il donne envie de voir un/une cinéaste plus jeune fabriquer à son tour un film monde sur les fractures actuelles de l’Amérique avec un budget conséquent. Type de projet pas forcément facile à monter…

Ordell Robbie

Megalopolis
Film américain de Francis Ford Coppola
Avec : Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel…
Genre : Drame, Science Fiction
Durée : 2h18mn
Date de sortie en salle : 25 septembre 2024

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