musique

Entretien avec Sylvain Chauveau   

 

 

 

 

    Artiste prolifique, passionné et passionnant, Sylvain Chauveau, sort consécutivement 3 albums sous trois noms différents et nous propose de découvrir 3 univers bien particuliers.

Exigeant dans son travail comme dans ses goûts en matière de musique ou de cinéma, il me livrait, lors d'un récent entretien,  quelques  impressions sur sa musique, ses passions et ses envies.

 

Tu es impliqué dans trois projets distincts (sous ton nom, micro:mega et arca) Comment gères-tu cette polyvalence ? Y a t’il un projet pour lequel tu es le plus engagé ?

Je n'ai aucune difficulté à différencier les trois choses. Avec Joan Cambon, dans arca, nous habitons dans la même ville et nous nous voyons très régulièrement pour créer les morceaux en home-studio, et aussi pour répéter pour la scène. Et ça a pris rapidement une direction rock, répétitive et hypnotique, que l'on mélange aux samples.
Dans micro:mega, avec Fred Luneau, c'est plus électronique, plus ambient-rock. On se voit par sessions de plusieurs jours pour ne faire que ça, dans son home-studio à la campagne.
Le reste du temps, je le consacre à mes compositions en solo, une sorte de musique française d'aujourd'hui. Donc c'est sûrement là que je passe l'essentiel de mon temps mais c'est bien pour moi d'avoir plusieurs cordes à mon arc, ca me permet d'assouvir des envies différentes. Et puis j'apprends pas mal grâce à l'expérience de Joan et de Fred.
Au final, la musique occupe presque toute ma vie. Tant mieux car je n'ai pas envie de me consacrer à autre chose.

Un article dans Télérama dernièrement, des papiers souvent élogieux dans la presse spécialisée, te considères-tu aujourd'hui comme reconnu par la presse musicale et par le public indé ?

C’est vrai que j'ai eu un bon accueil dans la presse spécialisée (voire généraliste, parfois) grâce à la sortie simultanée de mon disque nocturne impalpable et de l'album cinématique d'arca. C’est même au-delà de mes espérances. C’est allé en effet de télérama à libé, en passant par l'huma, classica, les inrocks et d'autres, et même un magazine féminin comme DS...
Donc je suppose que mon nom commence un peu à circuler auprès des gens qui s'intéressent à ce genre de musique. J’espère que ça m'aidera pour la suite.
Après mon premier album, le livre noir du capitalisme, ca avait été un flop complet alors que j'avais vraiment mis toutes mes tripes dans ce disque, mais au lieu de me décourager, ça m'a donné la rage de faire un album qui serait deux fois meilleur !
Et sur le deuxième, nocturne impalpable, cet accueil m'encourage et me rassure. J’ai moins l'impression de m'agiter dans le vide. J’estime que sur la durée, on a souvent l'impact qu'on mérite. Si personne ne prête l'oreille à ce que tu fais pendant des années, c'est sans doute que ta musique n'est pas aussi géniale que tu le voudrais.
Moi, je sais que j'ai encore beaucoup à progresser et j'y travaille.


2002 est-elle une bonne année pour toi ? Es-tu satisfait des ventes pour les albums que tu as sorti cette année ? 

Pour l'instant, c'est nocturne impalpable qui se vend le mieux et je pense que c'est un disque qui peut avoir une durée de vie, pas le truc qu'on achète dans les deux mois qui suivent sa sortie et qui disparaît des esprits et des bacs quelques temps après. Celui de micro:mega est encore un peu récent mais les ventes ont l'air correctes par rapport à ce genre de disques en général.
Donc oui, ça me satisfait. Ce sont des tous petits chiffres de ventes mais il est évident que mon ambition n'est pas là. Je ne cherche pas à devenir riche et célèbre. Ce qui m'obsède, c'est la qualité du contenu et comment y parvenir.

Quelle est ta formation musicale ?

J’ai appris mon premier accord de guitare à 19 ans, donc très tard. Aucune formation théorique ou pratique. Je peux même dire que je sais bien jouer d'aucun instrument. J’ai tout appris seul, à l'oreille, dans la tradition orale du rock et des musiques populaires. Je ne suis pas doué pour la pratique instrumentale : jouer n'est pas du tout un plaisir mais je le fais quand je peux pas le déléguer à quelqu'un de plus compétent.

Avec arca, tu incorpores des extraits de dialogues de films à ta musique. Je sais que tu es assez influencé par Godard, mais en général, quel peut-être l'apport du cinéma sur ta musique ?

Dans arca, le gros des idées vient quand même de joan. Pour les extraits de films, on a tout simplement tapé dans des films qu'on aimait, pour donner un côté narratif dans notre musique instrumentale.
Sinon, c'est plutôt la démarche de certains cinéastes qui m'inspire, parfois plus que leurs films. Depuis deux ans, par exemple, je suis assez immergé dans l'univers de Bresson. Ses principes rigoureux et ascétiques sont d'ailleurs transposables à d'autres domaines, artistiques ou non. 

Dans l'avenir comptes-tu poursuivre plus en avant dans ce type de démarche ?

A l'avenir, des choses comme cela continueront sans doute de m'influencer. D’ailleurs le cinéma influence nos vies à tous. Pour notre génération, c'est souvent à travers les films que nous avons eu nos premiers contacts avec la mort, l'érotisme, l'amour...
Récemment, j'ai participé à la bande originale d'un court métrage avec le groupe man : des voix alentour de Sébastien Betbeder. C’est quelque chose que j'aimerais travailler.

Peux-tu nous en dire plus sur cette collaboration ?

J'ai rencontré Charles-Eric et Rasim, les musiciens de man lors de concerts communs. Nous avons sympathisé tout de suite et quand Sébastien Betbeder m'a proposé de faire la musique de son court-métrage, j'ai pensé à eux. Le travail s'est donc fait chez eux, à Nantes, en recevant des pré-montages du film au fur et à mesure. Je ne peux pas t'en dire beaucoup plus pour l'instant car le mixage n'est pas tout à fait fini. Le film a l'air vraiment bien. Les morceaux proposés seront pour la plupart des "pianos solos". Rasim et Charles-Eric se sont avérés très efficaces. Le résultat devrait être bon.

Quels sont tes compositeurs de musiques de films favoris ?

Je ne m'intéresse pas spécialement aux compositeurs de musiques de films. Un film est un tout, la musique n'est qu'une partie, parfois sous-estimée, comme le son. Mais je retiens quand même la b.o. de bienvenue à Gattaca par Michael Nyman, qui fonctionne toute seule ; ou plus récemment encore, celle de l'emploi du temps par Jocelyn Pook. Sinon, je trouve que Badalamenti est parfait sur les films de Lynch. J’aime beaucoup aussi la musique de Georges Delerue pour "le mépris", alors que Godard lui-même ne l'aimais pas. 

Est-ce que tu suis l'actualité cinéma ? 

Je suis autant que je peux y trouver mon intérêt, c'est-à-dire rarement. L’an passé, j'ai quand même apprécié kairo de Kyoshi Kurosawa, mais c'est de plus en plus rare. Je ne sais pas si la qualité baisse ou si je deviens trop exigeant... Le film le plus fort de ces dix dernières années est pour moi institut benjamenta des frères Quay ; et en France, le seul auteur nouveau à retenir est à mon avis Philippe Grandrieux. Avec sombre, il a fait un truc sans précédent dans le cinéma français.

Je sais que tu apprécie labradford. Qu'est ce que tu aimes écouter en ce moment ? La musique actuelle t'influence-t-elle dans ton travail de composition ?

Oui, labradford, j'adore ça depuis quelques années. Je les ai même rencontrés, et avec micro:mega, on s'est fait remixer par pan american. Mais il est vrai que je ne m'intéresse plus vraiment à la pop ou au rock, qui sont pourtant la base de ma culture musicale. Petit à petit, mon esprit tordu m'a guidé vers des choses de plus en plus expérimentales et vers la musique contemporaine. Maintenant, j'écoute essentiellement Bernhard Günter et Morton Feldman, qui ont une oeuvre énorme dont je suis très loin d'avoir fait le tour.
Alors oui, ce que j'entends m'influence. J’essaie d'en tirer des leçons applicables à mon travail musical mais honnêtement, je trouve naturel de puiser ces leçons aussi bien dans la poésie, le cinéma ou la photographie.

Comment vois-tu l'évolution de ta musique à l'avenir ? Comment peu-elle encore progresser ? Quels éléments désirerais-tu apporter pour qu'elle évolue encore ? 

Bien sûr que je vais progresser ! Je suis en phase d'apprentissage, notamment par toutes les erreurs que je fais et je compte bien continuer la musique pendant très longtemps, peut-être toute ma vie... Je dis parfois que je pense arriver à un niveau vraiment bon d'ici dix ou quinze ans. Et c'est vrai, je suis prêt à me battre encore des années pour me rapprocher de mon ambition : faire la plus belle musique du monde.
Mon travail consistera donc à m'imposer de plus en plus de rigueur, à faire sans doute de plus en plus de sacrifices, à m'efforcer de rester lucide sur mon travail, sur ma personne et sur le monde qui m'entoure, à enrichir ma culture musicale et artistique, à apprendre un peu le fonctionnement des instruments et des machines, à apprendre à lire et écrire la musique... et aussi à faire des efforts pour que ma musique soit diffusée, même si ce n'est l'aspect le plus intéressant de ce métier. Il me faudra également apprendre à ne pas me croire fort quand les critiques sont trop bonnes, ni être blessé quand elles sont acerbes.

 

Envisages-tu d'autres collaborations ?

Je n'envisage pas de monter d'autres projets musicaux. micro:mega et arca, je voudrais que ces groupes durent. Faire des choses en plus de tout ça, ce serait au dépens de la qualité. Et ça, pas question.

 

propos recueillis Par Benoît 

juin 2002