Irène
Némirovsky
possède ce talent d'être une tragi-comique, si la
combinaison est possiblement imaginable ! Chez elle,
il n'y a pas de place pour l'atermoiement ou les
larmes, pourtant ce qu'elle soulève, pointe et
traite fait bien souvent figure de drames à l'état
pur. Il existe cette élégance de la pirouette,
chez elle élevée à un art majeur. C'est
dramatique, et pourtant !.. Autant sortir, user et
abuser de la galerie du rire, du dérisoire et du
cynisme pour chasser la morosité ! L'histoire de Suite
française
est en elle-même ahurissante : écrite au cœur des
événements les plus noirs, à la veille presque d'être
arrêtée et déportée, ce manuscrit a la vie sauve
par miracle !
Au
cœur même des événements donc, Irène
Némirovsky
a su retranscrire cette "tempête en juin"
qui a soufflé en France lors de juin 1940. Il
s'agit là (pour reprendre les termes de Myriam
Anissimov,
en préface) "d'une oeuvre violente, d'une
fresque extraordinairement lucide, d'une photo prise
sur le vif de la France et des français". Irène
Némirovsky n'était pas dupe, cf en Annexes les
notes prises par elle-même : "Mon Dieu ! que
me fait ce pays ? "Puisqu'il me rejette, considérons-le
froidement, regardons-la perdre son honneur et sa
vie". Aussi, pas de quartier pour les
personnages qu'elle va mettre en scène : ils seront
tous faussement chrétiens et charitables, ils
seront vils, intéressés, égoïstes et profiteurs.
Et à deux moments clefs de la guerre : au début,
quand tous partent sur les routes de l'exode, puis
au milieu quand ils rentreront chez eux et
partageront leur quotidien avec les vainqueurs. (La
suite n'aura pas le temps d'être écrite). Et cela
concerne toutes les couches sociales !
J'ai
notamment apprécié cette remarque lancée par un
personnage, et qui résume l'état d'esprit à venir
: "Ceux qui l'entouraient, sa famille, ses
amis, éveillaient en lui un sentiment de honte et
de fureur. Il les avait vus sur la route ceux-là et
leurs pareils, il se rappelait les voitures pleines
d'officiers qui fuyaient avec leurs belles malles
jaunes et leurs femmes peintes, les fonctionnaires
qui abandonnaient leurs postes, les politiciens qui
dans la panique semaient sur la route les pièces
secrètes, les dossiers, les jeunes filles qui après
avoir pleuré comme il convenait le jour de
l'armistice se consolaient à présent avec les
Allemands. "Et dire que personne ne le saura,
qu'il y aura autour de ça une telle conspiration de
mensonges que l'on en fera encore une page glorieuse
de l'Histoire de France. On se battra les flancs
pour trouver des actes de dévouement, d'héroïsme.
Bon Dieu ! ce que j'ai vu, moi ! Les portes closes où
l'on frappait en vain pour obtenir un verre d'eau,
et ces réfugiés qui pillaient les maisons:
partout, de haut en bas, le désordre, la lâcheté,
la vanité, l'ignorance ! Ah ! nous sommes beaux !"
Stéphanie
Verlingue
Date de
parution : mars 2006
Première
parution chez Denoel en sept. 2004
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