Humour noir et
burlesque sont au rendez-vous avec ce dernier
livre d’Antoine Volodine qui s’est
inspiré du Livre des morts tibétains pour
nous livrer une sorte de En attendant Godot
plus mordant et décalé encore que le livre de Beckett.
Le postulat de départ est simple. Dans la logique
bouddhiste, le défunt doit traverser un monde
intermédiaire, appelé le « Bardo »,
et ce pendant quarante neuf jours, avant d’accéder,
au mieux, à la lumière, au pire, à une nouvelle réincarnation
qui peut s’avérer tout aussi absurde que la mort
elle-même. Mais avec Volodine, le postulat
n’existe que pour être détourné ; et avec
lui, le mieux n’est jamais sûr, et le pire
souvent recherché… Et ce, malgré les injonctions
des quelques lamas tibétains qui jalonnent son
livre, lamas tout aussi déjantés que les défunts
qu’ils sont sensés accompagner.
Parce qu’allons y pour la galerie des personnages !
Tous ingérables et irrécupérables… Tueurs,
mafieux, révolutionnaires, clown, ivrogne,
banquier, terroriste, ratés… que des fous et des
sourds qui s’ignorent… car personne n’écoute
personne, encore moins dans ce monde intermédiaire
où l’accès au repos éternel est loin d’être
une partie de plaisir, mais où on se demande aussi
si l’éternité est finalement souhaitable… Mais
entre ceux qui se plaisent tellement dans le Bardo
qu’ils ne veulent plus en sortir, ceux qui n’ont
pas conscience d’être morts, ceux qui pensent rêver,
ceux qui se croient à une émission de radio, ceux
qui pensent à une farce, ceux qui refusent d’écouter
les conseils, ceux qui s’en foutent… Sans
compter que les lamas eux mêmes sont tout autant
imprévisibles… à préférer lire par exemple des
recettes de cuisine ou des poèmes plutôt que le
« Bardo Thöddol », Volodine
s’en donne à cœur joie pour notre plus grand
plaisir ! Et dans cet univers absurde, encore
plus que la vie ou l’éternité elle-même, on
s’interroge si les ennuis ne sont pas plus
importants une fois la vie à trépas…
Bref, le ton est donné ! La mort n’étant
qu’une incongruité de plus, mieux vaut alors en
rire ! Et les prétextes sont légion dans ces
pages, tout aussi transitoires que le Bardo
qu’elles décrivent ; c’est un des charmes
d’ailleurs de ce livre, puisqu’il peut être
ouvert à n’importe quel chapitre, les saynètes
se suivant sans se ressembler, ou plutôt se
ressemblant trop pour que ça soit gênant de les
permuter.
En
tout cas, entre les gaffes et l’amateurisme des défunts
comme des bonzes, les hallucinations et délires des
uns, les quêtes absurdes et beuveries des autres,
les règles que personne bien sûr n’applique, les
conseils que personne bien sûr ne suit, on rit
beaucoup… même si on grince des dents aussi.
Parce que la vie est certes une tragédie, mais la
mort une bouffonnerie de plus, où les identités
sont plus qu’incertaines et les masques dérisoires,
et où les actes sont tout autant illogiques et ne mènent
bien sûr nulle part. La mort est loin d’être une
délivrance, mais une tartufferie qui confine au
grotesque. Et le Bardo un huis clos dérisoire lui
aussi qui emprisonne plus qu’il ne libère.
Restent l’ironie et l’humour, salvateurs. Comme
le dit lui-même Volodine : "
Dans
mes livres, je m'acharne à jouer avec l'après-décès".
Ce
livre iconoclaste est ainsi très vivifiant.
Jubilatoire. Baroque et fantaisiste. Et finalement
très poétique. A l’image de ce Juke-Box incongru
de ce Bar du Bardo crépusculaire où on peut
monologuer jusqu’au bout de la nuit tout en buvant
un coup !
Et on aimerait bien que cette histoire, que ces
histoires plutôt, soient adaptées au théâtre,
par un Jean-Michel Ribes par exemple, l’écriture
d’Antoine Volodine, les personnages
et les scènes visuelles s’y prêtant particulièrement.
Cathie
Maillot
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