roman

Antoine Volodine - bardo or not Bardo  

Editions du seuil - 240 p, 18€ - 2004

 

 

 

    Humour noir et  burlesque sont au rendez-vous avec ce dernier livre d’Antoine Volodine qui s’est inspiré du Livre des morts tibétains pour nous livrer une sorte de En attendant Godot plus mordant et décalé encore que le livre de Beckett.

 

    Le postulat de départ est simple. Dans la logique bouddhiste, le défunt doit traverser un monde intermédiaire, appelé le « Bardo », et ce pendant quarante neuf jours, avant d’accéder, au mieux, à la lumière, au pire, à une nouvelle réincarnation qui peut s’avérer tout aussi absurde que la mort elle-même. Mais avec Volodine, le postulat n’existe que pour être détourné ; et avec lui, le mieux n’est jamais sûr, et le pire souvent recherché… Et ce, malgré les injonctions des quelques lamas tibétains qui jalonnent son livre, lamas tout aussi déjantés que les défunts qu’ils sont sensés accompagner.

 

    Parce qu’allons y pour la galerie des personnages ! Tous ingérables et irrécupérables… Tueurs, mafieux, révolutionnaires, clown, ivrogne, banquier, terroriste, ratés… que des fous et des sourds qui s’ignorent… car personne n’écoute personne, encore moins dans ce monde intermédiaire où l’accès au repos éternel est loin d’être une partie de plaisir, mais où on se demande aussi si l’éternité est finalement souhaitable… Mais entre ceux qui se plaisent tellement dans le Bardo qu’ils ne veulent plus en sortir, ceux qui n’ont pas conscience d’être morts, ceux qui pensent rêver, ceux qui se croient à une émission de radio, ceux qui pensent à une farce, ceux qui refusent d’écouter les conseils, ceux qui s’en foutent… Sans compter que les lamas eux mêmes sont tout autant imprévisibles… à préférer lire par exemple des recettes de cuisine ou des poèmes plutôt que le « Bardo Thöddol », Volodine s’en donne à cœur joie pour notre plus grand plaisir ! Et dans cet univers absurde, encore plus que la vie ou l’éternité elle-même, on s’interroge si les ennuis ne sont pas plus importants une fois la vie à trépas…

 

    Bref, le ton est donné ! La mort n’étant qu’une incongruité de plus, mieux vaut alors en rire ! Et les prétextes sont légion dans ces pages, tout aussi transitoires que le Bardo qu’elles décrivent ; c’est un des charmes d’ailleurs de ce livre, puisqu’il peut être ouvert à n’importe quel chapitre, les saynètes se suivant sans se ressembler, ou plutôt se ressemblant trop pour que ça soit gênant de les permuter.

En tout cas, entre les gaffes et l’amateurisme des défunts comme des bonzes, les hallucinations et délires des uns, les quêtes absurdes et beuveries des autres, les règles que personne bien sûr n’applique, les conseils que personne bien sûr ne suit, on rit beaucoup… même si on grince des dents aussi. Parce que la vie est certes une tragédie, mais la mort une bouffonnerie de plus, où les identités sont plus qu’incertaines et les masques dérisoires, et où les actes sont tout autant illogiques et ne mènent bien sûr nulle part. La mort est loin d’être une délivrance, mais une tartufferie qui confine au grotesque. Et le Bardo un huis clos dérisoire lui aussi qui emprisonne plus qu’il ne libère. Restent l’ironie et l’humour, salvateurs. Comme le dit lui-même Volodine : " Dans mes livres, je m'acharne à jouer avec l'après-décès".

Ce livre iconoclaste est ainsi très vivifiant. Jubilatoire. Baroque et fantaisiste. Et finalement très poétique. A l’image de ce Juke-Box incongru de ce Bar du Bardo crépusculaire où on peut monologuer jusqu’au bout de la nuit tout en buvant un coup !

 

    Et on aimerait bien que cette histoire, que ces histoires plutôt, soient adaptées au théâtre, par un Jean-Michel Ribes par exemple, l’écriture d’Antoine Volodine, les personnages et les scènes visuelles s’y prêtant particulièrement.

 

Cathie Maillot