roman

Barry Bergdoll, Véronique Boone, Pierre Puttemans - Lucien Hervé. L'œil de l'architecte

Éditions Civa

[4.5]

 

 

    Tous ceux qui se sont intéressés à l’architecture des années 50-60 ont déjà vu, peut-être sans le savoir, des photographies de Lucien Hervé. Qu’il s’agisse de bâtiments comme celui de l’Unesco à Paris ou de villes nouvelles comme Brasilia ou Chandigarh, il est l’un de ceux qui nous ont donné, et par là-même appris, à voir cette architecture. Lucien Hervé est devenu tardivement photographe d’architecture. Après des débuts dans la mode, à 39 ans, désargenté et sans emploi, il se rend sur les conseils d’un de ses amis à Marseille où est en cours de construction la première des unités d’habitation de Le Corbusier. Il prend en une seule journée (n’ayant pas les moyens de se payer l’hôtel) 650 clichés. Aucun journal, ni magazine ne voudra de ces photos. Il les montre toutefois à Le Corbusier, qui y voit le regard d’un homme dont il dira qu’il a une âme d’architecte, et qui lui demande de devenir son photographe attitré. Ce qui ne l’empêchera pas de travailler avec bien d’autres : J. Prouvé, O. Niemeyer, A. Aalto…

 

    Ce qui marque, au premier abord, c’est l’abstraction dont fait preuve nombre de photos. Abstraction accentuée par un fort contraste. Certains clichés sont proches de tableaux de Mondrian ou semblent inspiré par le constructivisme russe. L’intérêt porté aux détails et aux matières nous invite à voir des formes, des rythmes, que nous n’aurions sans doute point remarqués. Ici, Lucien Hervé se fait le passeur d’une architecture qui fut particulièrement critiquée à l’époque. La sensualité même s’invite parfois, comme sur ce cliché d’un des murs extérieurs de la chapelle de Ronchamp, qui pourrait être celui d’un corps de femme.

 

    Ces aspects ne sont pas les seuls qui signent les photos de Lucien Hervé. Les cadrages, en particulier l’utilisation de la contre-plongée, et les prises de vue où l’horizon est diagonal, dynamisent ces images, au mépris des règles de la photo d’architecture. Plus encore, les verticales restent des fuyantes, alors qu’il est d’usage de les redresser de manière à les rendre parallèles. De plus, et on peut parfois le deviner en raison du grain de certaines photos, Lucien Hervé ne respecte absolument pas l’idée d’un cadrage fixé à la prise de vue, au contraire, pour lui l’image n’est cadrée qu’au moment du tirage.

 

    C’est donc à un regard différent sur l’architecture mais aussi à une pure émotion plastique que nous invite cet ouvrage. Car s’il s’agit bien d’une photographie au service de l’architecture, elle ne remplit cette mission qu’en la dépassant au profit de la pure recherche plastique. On peut seulement regretter que ce catalogue ne soit disponible que par l’intermédiaire du site internet du Centre International pour la Ville, l’Architecture et le paysage à Bruxelles qui organisait cette exposition.

 

Dominique Fagnot

 

Date de parution : septembre 2005

 

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