Tous
ceux qui se sont intéressés à l’architecture
des années 50-60 ont déjà vu, peut-être sans le
savoir, des photographies de Lucien Hervé.
Qu’il s’agisse de bâtiments comme celui de l’Unesco
à Paris ou de villes nouvelles comme Brasilia ou
Chandigarh, il est l’un de ceux qui nous ont donné,
et par là-même appris, à voir cette architecture.
Lucien Hervé est devenu tardivement
photographe d’architecture. Après des débuts
dans la mode, à 39 ans, désargenté et sans
emploi, il se rend sur les conseils d’un de ses
amis à Marseille où est en cours de
construction la première des unités d’habitation
de Le Corbusier. Il prend en une seule journée
(n’ayant pas les moyens de se payer l’hôtel)
650 clichés. Aucun journal, ni magazine ne voudra
de ces photos. Il les montre toutefois à Le
Corbusier, qui y voit le regard d’un homme dont il
dira qu’il a une âme d’architecte, et qui lui
demande de devenir son photographe attitré. Ce qui
ne l’empêchera pas de travailler avec bien
d’autres : J. Prouvé, O. Niemeyer, A.
Aalto…
Ce qui marque, au premier abord, c’est
l’abstraction dont fait preuve nombre de photos.
Abstraction accentuée par un fort contraste.
Certains clichés sont proches de tableaux de
Mondrian ou semblent inspiré par le constructivisme
russe. L’intérêt porté aux détails et aux matières
nous invite à voir des formes, des rythmes, que
nous n’aurions sans doute point remarqués. Ici, Lucien
Hervé se fait le passeur d’une architecture
qui fut particulièrement critiquée à l’époque.
La sensualité même s’invite parfois, comme sur
ce cliché d’un des murs extérieurs de la
chapelle de Ronchamp, qui pourrait être celui
d’un corps de femme.
Ces
aspects ne sont pas les seuls qui signent les photos
de Lucien Hervé. Les cadrages, en
particulier l’utilisation de la contre-plongée,
et les prises de vue où l’horizon est diagonal,
dynamisent ces images, au mépris des règles de la
photo d’architecture. Plus encore, les verticales
restent des fuyantes, alors qu’il est d’usage de
les redresser de manière à les rendre parallèles.
De plus, et on peut parfois le deviner en raison du
grain de certaines photos, Lucien Hervé ne
respecte absolument pas l’idée d’un cadrage fixé
à la prise de vue, au contraire, pour lui l’image
n’est cadrée qu’au moment du tirage.
C’est
donc à un regard différent sur l’architecture
mais aussi à une pure émotion plastique que nous
invite cet ouvrage. Car s’il s’agit bien d’une
photographie au service de l’architecture, elle ne
remplit cette mission qu’en la dépassant au
profit de la pure recherche plastique. On peut
seulement regretter que ce catalogue ne soit
disponible que par l’intermédiaire du site
internet du Centre International pour la Ville,
l’Architecture et le paysage à Bruxelles qui
organisait cette exposition.
Dominique
Fagnot
Date de
parution : septembre 2005
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