Nous écrivions il y a déjà trois ans à propos de Viva l’aldjérie, précédent film de Nadir Moknèche, que sa principale qualité était de brosser un portrait sans complaisances ni clichés d’Alger à travers le parcours mouvementé de trois de ses habitantes. Avec un casting à peu près identique, faisant une fois encore la part belle aux femmes, Nadir Moknèche poursuit son travail de débroussaillage d’une société truffée de contradictions par le prisme d’histoires particulières.
C’est ici la trajectoire éminemment romanesque d’une femme déterminée à réussir et à réaliser ses rêves, n’ayant pas de scrupules à se forger une nouvelle identité et à s’auréoler d’un titre grandiloquent, voire ridicule. En effet, rebaptisée Aldjéria – patronyme récurrent chez le cinéaste – autoproclamée bienfaitrice nationale, cette femme énergique compose avec sa soeur muette, une secrétaire nommée Shéhérazade et son fils Ryad un détonnant quatuor proposant des solutions expéditives et peu orthodoxes pour prouver des adultères savamment organisés, provoquer dans la foulée des divorces, déclencher des fermetures de restaurants. Toutes des magouilles qui enrichissent Adljéria dont l’ambition ultime est d’acquérir les thermes de Caracalla – la bourgade de ses origines – et de les transformer en espèce de centre de relaxation et de beauté. Pour mener à bien une dernière affaire délicate, mais juteuse, Aldjéria recrute une jeune fille serveuse dans un bar qu’elle métamorphose en Paloma, danseuse au cinéma L’Alhambra qui affole les hommes, au premier rang desquels son fils Ryad.
Puisque Délice Paloma démarre par la sortie de prison de Aldjéria, on sait d’emblée que les choses ont mal tourné, que c’est l’histoire d’une déchéance qui va nous être contée. Dans le taxi clandestin qui la ramène en ville chez elle, puis à la boîte de nuit qui vit ses heures de gloire, Aldjéria nous restittue en s’adressant directement au spectateur la chronologie douce-amère des faits qui marquèrent son ascension et sa décadence. Même dans l’adversité et la mouise, la maquerelle qui accepte volontiers le qualificatif de putain, mais pas celui de vieille, conserve sa dignité et sa fierté. Peu importe le survêtement informe, l’absence de bijoux et de maquillage, c’est le port altier qu’elle se rend au club boire une bière pour pouvoir nous faire partager la suite de ses douloureuses confessions.
Aldjéria – magistralement interprétée par Biyouna, à la voix rauque et au faciès presque masculin – est une perdante, mais une perdante magnifique qui suscite de suite notre sympathie. Dans cette trajectoire foisonnante, tour à tour superficielle et tragique, on la suit sans relâche. Peut-être le film pêche t-il par sa longueur et une coupure de rythme en son milieu, mais cette chronique familiale quasi feuilletonesque sort de son cadre pour dessiner en creux le portrait d’un pays paradoxal, dont Aldjéria dresse un état des lieux désenchanté.
[3.5]
Patrick Braganti
Comédie dramatique française de Nadir Moknèche – 2 h 14 – Sortie le 11 Juillet 2007
Avec Biyouna, Nadia Kaci, Aylin Prandi