Pour ses 19 ans, le festival de Dour était, pour la première fois de son histoire, complet avant même son ouverture. Attirés par une affiche toujours aussi éclectique et exigeante, agrémentée de deux trois noms plus clinquants qu’à l’accoutumé, ce sont donc 36 000 personnes qui se présentaient pendant quatre jours sur le site de la Plaine de la Machine à feu. Et on a donc retrouvé toujours avec le même plaisir cette ambiance unique de fête, métissage et tolérance.
Jeudi 12 :
Le temps de s’y retrouver parmi la nouvelle disposition des scènes (qui a fait grincer quelques dents, on y reviendra) et on débute avec les belges Minérale qui délivrent une gentille pop psychédélique pas désagréable ni renversante. Leurs compatriotes Showstar travaillent dans une veine plus mélodique et présentent avec fougue leurs nouvelles pop songs imparables, devant un public enthousiaste, avant de finir sur une reprise de feu du » Sugar Kane » de Sonic Youth. Les Year of no light eux aussi maîtrisent le feu pour donner corps à leur musique en fusion, composée essentiellement de longues plages de guitares noisy accompagnées d’une voix hurlant sans cesse le même texte (quelque chose comme » aaaaaaaaaaaaah » : ça peut être agaçant mais finalement on s’y fait et ça fait même partie du trip dans lequel nous emmène ce post-rock sauvage). Un peu plus loin le chapiteau, où la soirée Drum’n’ Bass commence à peine, est déjà surchauffé et archi bondé. Comme ces deux dernières années il y a autant de monde à l’extérieur qu’à l’intérieur de la tente. Après avoir constaté avec frustration que nos mouvements de danse ne pourront se limiter qu’à un vague trépignement sur place, on s’éloigne en se disant que les organisateurs devraient envisager sérieusement le transfert de cette rituelle soirée du jeudi à une scène à la capacité plus adaptée. Pas de problèmes de place pour les Vive la Fête qui jouent sur le plus grand espace du site devant un public conquis d’avance par leur électro 80.’s. Les flamands restent irrésistibles en live. La chanteuse Els Pinoo, qui a encore oublié de mettre un pantalon, est toujours aussi déchaînée et le groupe fait monter la fièvre jusqu’à un final d’anthologie où ils enchaînent devant une assistance en transe les implacables » Assez » » Maquillage » et » Noir Désir « . On se repose une bonne heure, les méga stars du week-end savent se faire attendre, avant qu’une nouvelle tornade s’abatte sur la Last Arena : c’est en effet la bande du Wu Tang Clan qui déboule et sert un show bouillant. Les neuf voix puissantes des MC.’s new-yorkais, aux flows bien distincts, se suivent, se superposent, s’entrechoquent dans un maelström impressionnant.
Vendredi 13 :
La pluie a gaiement douché la plaine wallonne en fin de nuit et on va donc bêtement s’acheter des bottes, ignorant que le reste du week-end s’annonce caniculaire. La boue commence donc à sécher quand The National commence son set. Quand le groupe le plus mésestimé de l’époque égraine les titres de son dernier et meilleur album, on se retrouve devant un des grands moments du festival. Leur musique mélancolique, emmenée par les guitares affûtées des frères Dessner et la voix habitée de Matt Berninger, à la gestuelle torturée, nous dévoile quelque chose qui ressemble à de la grâce pure. On quitte les garçons de Brooklyn sur l’épique » About today » pour aller s’alanguir au soleil devant les Herman Düne qui déroulent agréablement leur néo-folk inimitable. Eux aussi ont un son reconnaissable entre mille mais font plutôt dans le genre pop lunaire : Sharko accompagne cette douce fin d’après midi par un show agréable mais convenu. Et ce sera un peu le sentiment qui reviendra tel un leitmotiv devant chaque groupe de cette deuxième soirée. Prenons The Rapture, on ne peut s’empêcher d’être impressionné par leurs progrès scéniques. Ils ont maintenant une vraie consistance mettant vraiment en valeur leur répertoire. Mais même s’ils s’avèrent irrésistibles sur certains titres, l’ensemble laisse sur sa faim. Les Clap your hands Say Yeah ! présentent un set plus abouti. Relativement statiques, les New yorkais n’ont pas besoin d’en faire des tonnes pour entraîner le public dans le tourbillon de leurs petites bombes dansantes. Toujours sur un mode légèrement déceptif, on finit la soirée avec Bright Eyes. La bande à Conor Oberst livre un concert à l’image du dernier album, plus folk et classique que leurs précédentes sorties. C.’est honnête mais on est très loin du souvenir transcendant que nous avait laissé leur dernière prestation sismique ici même, il y a deux ans.
Samedi 14 :
Pour bien se réveiller en cette fin d’après midi, on décide d’aller se fourrer le crâne directement au coeur d’un moteur à réactions en allant écouter Part Chimp qui fournit une musique sur-sonique sans cependant négliger les mélodies. Opposition de style avec le duo Two gallants qui joue une sorte de folk-blues désolé mais néanmoins plein de ferveur. Les premiers rangs reprennent d’ailleurs en choeur le chant plaintif du leader américain. On continue à jouer sur les contrastes en rejoignant le Dancehall où règne une chaude ambiance rythmée par l’electro exigeante mais néanmoins festive de The Micronauts , avant d’aller juger du projet Griots&Gods réunion du rappeur Dälek et des suisses indus Young Gods : un concert étouffant entre le hip hop expérimental du premier et les longues plages lourdes de guitares saturées des seconds. Ce qui nous attend pour la fin de soirée est beaucoup plus léger. On commence avec l’electronica mélancolique de Notwist : un concert impeccable où s’enchaînent délicats instants rêveurs et décharges bruitistes. On enchaîne avec les petits chouchous locaux. Girls in Hawaii vient en effet présenter en exclusivité quelques morceaux du successeur du génial » From here to there « . C.’est devant une assistance impressionnante que les belges légèrement tendus commencent leur set et illuminent de leur pop fragile et sensible la nuit wallonne. Leur sens de la mélodie est toujours aussi aigu et fait mouche encore une fois. Les deux grandes scènes se vident ensuite et déversent ainsi des tonnes de public vers les tentes aux capacités plus limitées. Il nous sera donc impossible de pouvoir juger de l’énorme buzz du moment : le chapiteau où doit se produire Justice est plein à craquer. Tant pis, on patientera jusqu’à la Route du rock de Saint Malo.
Dimanche 15 :
Est-ce l’accumulation de la fatigue ou le contre coup des diverses substances ingérées les jours précédents? Toujours est-il que, le Dimanche à Dour, il règne toujours une ambiance moins folle plus langoureuse, pas désagréable. Et pourtant, on commence avec les énervés The Thermals et leur pop-punk dynamique pas très original mais irrésistible sur scène. On fuit vite par contre The Van Jets qui nous gratifie d’horribles guitares 70.’s à tendance beaucoup trop démonstrative pour aller sautiller devant James Delleck, qui avec ses deux compères Detect et Mr Machine Jouage, dégagent une réelle et belle énergie enthousiaste. Mais, gros hic, les textes, essentiels dans leur hip hop loufoque, se révèlent en live complètement inaudibles (problèmes de diction ou de sonorisation ?). Pas de problème de son pour les Thoman, miracle d’équilibre post-rock entre délicates arpèges de guitares, déflagrations soniques et accords subtils de cuivres. Un vrai moment de grâce ! Après avoir côtoyé ces hautes cimes, on retombe lourdement devant les Black Rebel Motorcycle Club, inégalables quand il s’agit de plomber l’ambiance avec leur rock pataud et sans âme. En cette fin de festival, les noms alléchants se bousculent et il va falloir faire des choix. On abandonne donc Katerine tout de blanc vêtu ce soir, pour assister au très grand moment du festival, la très grosse claque : les 65daysofstatic jouent 55 minutes de musique extatique. Un show fiévreux où les quatre instrumentistes s’impliquent avec passion dans leur post-rock noisy. Une heure d’une intensité rare devant un public fervent, secoué et ravi. Public tout aussi passionné devant les platines de DJ Shadow qui instaure une ambiance de feu en cette dernière nuit wallonne.
Ainsi s’achève cette nouvelle édition du festival de Dour. Même si on peut contester le choix de la nouvelle disposition des scènes (avec un engorgement à l’entrée de la Red Frequency Stage, un trop grand éloignement entre les deux scènes principales obligeant à traverser tout le site pour aller de l’une à l’autre), la manifestation aura réussi à maintenir sa réputation en terme d’exigence musicale et d’ambiance, de tolérance et d’ouverture. On attend avec impatience la 20ème édition qui s’annonce dense et festive.
Guillaume Duranel
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crédits photos : Pascale Duranel