Il est toujours intéressant de voir à quelques semaines d’intervalle deux films traitant du même sujet, en l’occurence la découverte de l’émoi sexuel et la première fois d’adolescents. Lola Doillon (Et toi, t’es sur qui ?) et Céline Sciamma, outre la similitude du projet abordé, ont aussi en commun d’être de nouvelles cinéastes signant là leur premier métrage.
Si Lola Doillon inscrivait son marivaudage dans l’air du temps en omettant de lui apporter un point de vue plus tranché, il en va tout autrement pour Céline Sciamma qui impressionne par sa justesse de ton et la maîtrise de son long-métrage.
En choisissant de placer ses trois héroînes : Marie la mutique, Anne la boulotte et Floriane la naîade séductrice dans le milieu de la nage synchronisée, la réalisatrice opte pour un univers extrêmement codifié et exclusivement féminin. Discipline exigeante et peu valorisée, où la reconnaissance est d’abord celle d’une équipe, la nage synchronisée offre ainsi un décor de choix : la piscine, comme réceptacle évident de la naissance des désirs : quasi-nudité des corps, promiscuité, contacts éphémères, l’eau comme l’élément purificateur et originel, celle dans laquelle on vit dans le ventre de sa mère.
Naissance des pieuvres est un chassé-croisé entre Marie, ressentie comme la plus jeune des trois (dans son fragile physique), qui tombe amoureuse de Floriane et délaisse Anne, laquelle se bat avec son corps encombrant qui l’éloigne des garçons convoités. Bien sûr, les pieuvres sont illustrées par la myriade de bras ou de jambes qui émergent simultanément de l’eau, mais plus symboliquement, les pieuvres ne sont-elles pas les tourments qui apparaissent au moment crucial des premiers émois et initient ce cruel et défintif rendez-vous avec la déception, la jalousie qui ronge, à l’instar de la rage que Marie fait rejaillir sur Anne transformée en bouc émissaire logique ?
Chez Céline Sciamma, nous sommes avant tout du côté féminin, les garçons étant réduits à leur état immature et grégaire de jeunes coqs tenaillés eux aussi par leur sexualité naissante. Pourtant d’un âge équivalent, les filles semblent déjà tellement plus vieilles, mûres et emplies du pressentiment d’un avenir difficile. Une sensation encore renforcée par le maquillage outrancier qui métamorphose les nageuses en poupées apprêtées et vieillies avant l’heure.
Naissance des pieuvres est aussi moins marqué dans la temporalité que le film de Lola Doillon : juste un langage qui sonne actuel, mais les paroles plus rares et plus violentes ne participent pas ici de la même logorrhée. De la même manière, le film délivre peu de repères géographiques tout en privilégiant des structures fermées – la piscine certes, mais aussi des cours, des sous-sols et des blocs de béton.
Enfin il faut saluer le choix des trois actrices, chacune dans un registre différent : Marie comme petite soeur de L’effrontée de Claude Miller, Floriane en cadette de Ludivine Sagnier et Anne (le personnage en arrière-plan mais loin d’être secondaire) en jeune Muriel.
Naissance des pieuvres révèle une cinéaste dotée d’un regard juste et d’un ton personnel et donne à voir une variation brillante et tenue sur l’apprentissage de la frustration et son corollaire douloureux : le retour au réel qu’il faut supporter et surmonter.
Patrick Braganti
Film dramatique français de Céline Sciamma – 1 h 25 – Sortie le 15 Août 2007
Avec Pauline Acquart, Adèle Haenel, Louise Blachère
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