Il y a un joli tour de force dans Ceux qui restent à ne jamais montrer les deux personnes qui sont à l’origine de la rencontre de Bertrand et de Lorraine. Ces deux personnes, la femme de l’un et le compagnon récent de l’autre, sont hospitalisées dans le service de cancérologie d’un établissement parisien.
Malgré leur invisibilité – qui est à coup sûr une marque de dignité et d’éthique de la part de Anne Le Ny – ils sont omniprésents dans les préoccupations et la vie quotidienne de Bertrand et de Lorraine, mais de manière quasiment antagonique.
Pour Bertrand dont l’épouse est malade depuis cinq ans, ses visites quotidiennes sont vécues comme un sacerdoce, un sacrifice évident qui l’amènent à se replier, vivre comme un fantôme, endossant une responsabilité pesante qui entache notamment ses relations avec Valentine, la fille de sa femme. Pour Lorraine, il en va tout autrement : elle avoue son incapacité à supporter longtemps la maladie de Thomas et la dégradation physique qui va immanquablement l’accompagner. Un homme rongé par sa culpabilité et qui prend tout sur lui d’une part, une femme apparemment superficielle qui revendique son angoisse teintée d’égoîsme. Là aussi les rôles s’inversent tant la lâcheté et la fuite sont ici les attributs de Lorraine alors qu’ils sont si souvent l’apanage de la gent masculine.
Le film a le grand mérite d’éviter tout pathos et d’aborder des questions qui frisent dans les réponses qu’elles envisagent le politiquement incorrect : comment continue t-on à vivre lorsqu’un être cher est atteint d’une maladie grave, faut-il se sauvegarder soi-même ou au contraire s’effacer totalement dans la souffrance de l’autre ? L’exubérante Lorraine fait vaciller les certitudes de Bertrand, prof d’allemand bougon facilement donneur de leçons. Ceux qui restent est donc particulièrement réussi dans cette douloureuse approche où plane le tabou de la mort et de la solitude. On éprouve beaucoup de tendresse pour Bertrand qui fait de Valentine (dont les réactions rejoignent celles de Lorraine) une espèce de déversoir de sa propre souffrance. Et on aime pareillement l’honnêté bravache de Lorraine à l’humour décalé et provocateur.
Ce qui hélas séduit moins, c’est l’histoire d’amour prévisible qui naît entre ces deux-là . Il est vraiment dommage d’aborder un sujet épineux de manière aussi frontale et intelligente et de terminer en enfermant les deux protagonistes dans un canevas banal. L’idée du rapprochement et d’une forme d’entraide empathique se suffisait sans qu’elle débouche sur une histoire d’amour. La première relation sexuelle – rapide et presque sordide – est légitime (elle fait penser aux témoignages des prisonniers des camps de la mort ayant avoué des rapports physiques pour juste se prouver à soi-même son existence et sa capacité à ressentir) et c’est une merveilleuse idée. Mais la répéter en entérinant des sentiments amoureux entre Bertrand et Lorraine disqualifie momentanément le sujet. Fort heureusement, Anne Le Ny se reprend pour offrir une résolution cohérente, davantage en adéquation avec la finesse du début.
On terminera en saluant la justesse des deux comédiens : Vincent Lindon bouleversant en homme anéanti et intérieurement brisé et Emmanuelle Devos culottée et battante dans un rôle peu aimable, à rebrousse-poil d’une bienséance convenue. Anne Le Ny, jusqu’alors discrète comédienne, signe un premier film sensible et pudique, se jouant habilement des lieux communs. Même s’il ne tient pas toutes ses promesses et souffre d’une forme presque quelconque à la limite d’un honorable téléfilm, Ceux qui restent mérite le détour.
Patrick Braganti
Drame français de Anne Le Ny – 1h34 – Sortie le 29 Août 2007
Avec Vincent Lindon, Emmanuelle Devos, Anne Le Ny