Le festival de Saint Malo, pour sa 17ème édition, aura présenté toute sa gamme de possibilités que ce soit en termes de configuration de sites, de niveau de programmation ou de climat. Résumé d’un milieu de semaine arrosé !
Mercredi 15 août
Palais du grand large
Cette année, le festival malouin ouvre ses portes plus prématurément qu’à l’accoutumée et nous offre en guise de mise en bouche une démonstration de cuisine nouvelle par le chef toqué et expérimentateur Thierry Marx. Comme pour mieux préparer les oreilles aux shows à venir, il se charge d’éveiller nos 5 sens en préparant pêle-mêle gâteau au chocolat sans cuisson, meringues à la coco » cuites » à l’azote liquide, sphères et spaghettis aux fruits de la passion. Tout ceci en faisant appel à des procédés peu coutumiers, où les extraits d’algue se substituent aux corps gras, le soja prend le pas sur le lait de vache, et où l’azote liquide fait office de catalyseur et de générateur de textures inédites. Selon les dires des quelques bouches bénéficiaires de ces produits finis, le résultat est surprenant. On aurait aimé laisser notre propre palais en juger. On se contentera de les envier et les croire sur parole.
Face aux caprices d’Eole et à la menace des précipitations, les concerts prévus sur le sable se voient transférés dans l’élégante Rotonde du Palais.
Les hostilités débutent avec Yann Tambour et son projet Thee stranded horse. Un projet axé autour de la guitare sèche et de la kora, instrument africain aux sonorités oscillant entre harpe et guitare classique. Un set épuré, humble et subtil, à la grâce presque sacramentale, qui plonge le public sagement assis dans un état d’attention et d’apaisement en parfaite communion avec la musique de Yann. En sus des titres issus de son magnifique album »Churning strides » dont Le sel, qui ne pouvait trouver toile de fond plus adéquate que ce morceau de mer ocellé d’îlots rocheux, Yann nous offre quelques inédits laissant présager que les aventures de ce cheval égaré connaîtront une suite. Ce dont on se réjouit, bien évidemment.
Vient ensuite l’ingénue suédoise Anna Ternheim qui, passant alternativement de sa guitare à son piano, nous délivre un folk de facture classique, très propret, un poil lénifiant, et manquant sérieusement de relief. Tout cela est certes sympathique mais après 3 à 4 cuillerées de miel, il me prend l’envie d’aller traîner mes savates et mes écoutilles à l’auditorium. J.’y retrouve le temps de 3 morceaux un Eugene Edwards, cheveux dissimulés sous un bandana d’apache, entouré de sa troupe du Woven hand, en train de proférer des paroles de sa voix caverneuse, tel un gourou à la frontière de l’hystérie contenue. Les guitares rêches, marquées du sceau » vieux blues » visent à hypnotiser. La performance s’assimile à une incantation vaudou. Pour peu que l’on se prête au jeu, celui-ci en vaut peut-être la chandelle. Pour ma part, je reste tel un spectateur en dehors de la sphère.
Fort de Saint-Père
Le fort de Saint-Père rejoint, le set d’Elvis Perkins est déjà à demi-entamé. Le » fils de » acclamé et porté aux nues par les critiques délivre une pop bien fichue, se dotant d’accents cow-boys un peu rebutants en fin de parcours, et qui, pour tout dire, ne m’emballe pas outre mesure. Je tire profit de ce concert en demi-teinte pour aller traîner à l’espace Labels-Fanzines se trouvant cette année entre les toilettes et la baraque à saucisses. Certes peu glorieux comme positionnement, mais ceci offre au moins l’avantage aux occupants des stands de faire face à la scène (pour peu que la vue soit dégagée »condition non remplie lorsque les lieux se trouvent investis par les festivaliers allergiques à la pluie. Pourtant, cette année, pas d’excuse, la distribution de ponchos roses imperméables était gratuite !).
Bref, je profite de ce passage (il y en aura d’autres à suivre) pour, dans le désordre :
– tailler une courte bavette avec Jérôme, instigateur du journal Fugues et des soirées »Meeting people is easy »
– passer le bonjour aux nouveaux venus de »l’Asso de Gens Normal »
– repartir avec la nouvelle sortie Monopsone, le poétique Je retiens ton souffle des français Novö (tout un programme !) ; qui après écoute s’avère être une excellente acquisition (chapeau Monopsone, chapeau Novö)
– repartir avec une sortie imminente signée Talitres (Stars like fleas), et une bonne poignée d’Ep Acuarela (un grand merci à Sean)
– survoler les stands Dead bees, Unique records, Own records (honte à moi ! C.’est promis, lorsque l’occasion se représentera, je me plierai au bonjour syndical minimal).
La pluie, celle que l’on attendait tous sans trop y croire, celle que l’on croyait éviter, devance de peu l’arrivée des Herman Dune, et va même jusqu’à fidèlement les accompagner. Une eau qui dilue les bières et offre un contraste saisissant avec le folk enjoué et ensoleillé des Herman Dune, toujours aussi agréable et familier, ici légèrement plus électrisé que lors de leur passage au Big Band Café d’Hérouville Saint Clair. Egalement plus rythmé, aidé en cela par la présence aux percussions (et à la trompette) de Jérôme Lorichon, alias Lori Sean Berg.
Le ciel s’obscurcit, la pluie ne fléchit pas, et tous deux constituent une toile de fond idéale pour accueillir les excellents The National qui nous gratifient d’un concert puissant et habité, vénéneux et fiévreux, enchaînant bon nombre de tubes issus du récent »Boxer » et des non moins excellents »Alligator » et »Sad songs for dirty lovers ». Un concert qui transpire la classe et que le chanteur Matt Berninger ponctue en se laissant porter par les fanatiques des premiers rangs. Indubitablement le moment fort de cette première soirée.
Forcément, la tâche est rude lorsqu’on se doit de succéder à The National, à fortiori quand on s’appelle Art Brut, et que l’on a rien d’autre à proposer que des morceaux ultra-concis aux rythmes enlevés (jusque là , rien de mal), dans lesquels on ne perçoit ni nuance ni mélodie digne de ce nom (là , ça se gâte). Le genre de prestation qui a au moins le mérite d’engendrer des mouvements d’arrière-train chez les plus imprégnés de bière, et quelques autres on l’espère »
Après la prestation décevante et un peu caricaturale d’Art Brut, déboule sur scène l’une des grosses claques du festival. Les six musiciens de The Go!Team jouent avec une allégresse et un punch communicatifs. La chanteuse, dans une robe courte style tenniswoman, pourtant blessée au genou droit ne se ménage pas et se déhanche frénétiquement sur les mélodies rythmées et jouissives délivrées par ses compères, qui s’échangent leurs instruments entre tous leurs morceaux, sortes de mix improbable de pop 60.’s, de hip-hop et de guitares noisy. On est plus perplexe devant la performance des sur-buzzés Justice. Le duo déroule tranquillement et son set est sans surprise, un brin monotone.
Jeudi 16 août
Palais du grand large
N.’étant pas à ranger dans la catégorie des fervents admirateurs de Sébastien Schuller, c’est en toute logique et sans tergiverser que j’opte pour les concerts se déroulant à l’auditorium.
Le premier à s’y produire en ce second jour de festivités, c’est Windmill, une barque menée par le jeune Matthew Thomas Dillon, parfait dans le rôle du pantin désarticulé qui se tortille debout derrière son piano. Entouré d’une violoncelliste au jeu remarquable, d’un batteur généreux dès lors qu’il s’agit de faire claquer les cymbales, d’un bassiste discret comme le sont (presque) tous les bassistes et d’une guitariste assurant de chouettes contre-chants, Matthew semble intimidé de jouer face à un public de cette ampleur. Mais la prestation ne pâtit pas de cet état farouche, et Windmill fait plutôt plaisir à voir et à entendre, dans un registre proche de Mercury Rev, avec des élans mélodramatiques, grandiloquents, et un côté théâtral assez similaire. Sans compter le timbre de voix nasillard (qui peut s’avérer agaçant voire rebutant) et la gestuelle hallucinée qui ne sont pas sans rappeler un certain Jonathan Donahue. Des références assumées, quelques bémols mais aussi des qualités qui font de ce concert un moment somme toute agréable.
Place ensuite au montréalais Patrick Watson venu présenter de vive voix son »Close to paradise ». Pour tout avouer, quelques courants d’effroi m’ont titillé l’échine à l’écoute des deux premiers morceaux du set, qui m’ont immédiatement renvoyé à Coldplay. Au jeu du blind-test, je me serais volontiers planté. Le timbre de voix aidant (Chris Martin réincarné ?), la mélodie au piano qui va bien, le mélo en toc qui y est associé : le leurre est parfait. Heureusement, les éléments à suivre dévient, empruntent quelques chemins de traverse, les musiciens usent d’artifices divers pour tordre le cou de leurs morceaux : la baudruche sur les cordes de guitare, la scie musicale toujours bienvenue, et la pédale d’effet que Patrick ne quitte pas d’une semelle pour démultiplier ou distordre sa voix. Plein de bonnes intentions et un soupçon d’audace qui semblent ravir une grande partie du public, mais ne parviennent pas à me proposer un embarquement complet à bord. Seul le final assuré tous micros dehors, avec des musiciens (à l’évidence confirmés) dans leur plus simple appareil, parvient à me procurer un plaisir certain. Mitigé donc, et partiellement dommage.
Fort de Saint-Père :
La soirée commence sous le soleil avec Fujiya&Miyagi qui livre une electro mécanique assez austère. Le chuchotement, qui tient lieu de chant se révèle assez vite insupportable. On s’amuse un peu plus avec 120Days, petits morveux norvégiens qui jouent une musique fortement inspirée par le krautrock allemand mais avec des accents plus pop. Malgré la fougue du chanteur fortement imbibé, le concert ne décolle pas vraiment, restant agréable, sans plus. The Besnard Lakes restent eux aussi désespérément au ras des pâquerettes. Ils alternent de façon très scolaire, longues plages calmes et décharges électriques. Mais finalement, leur rock pseudo lyrique s’embourbe très vite sur scène. Néanmoins en cette soirée des déceptions, on atteint des sommets avec les Smashing Pumpkins. Un show métal et très lourd, d’interminables digressions de guitares, des morceaux qui n’en finissent plus avec une batterie ultra démonstrative, les remplaçants de Iha et D.’Arcy complètement transparents, un Billy Corgan assez froid ; bref une grande désillusion ! Les New Young Pony Club qui leur succèdent apportent eux de la simplicité et de la fraîcheur. Leur pop-electro n’est franchement pas originale mais ils la jouent avec un enthousiasme communicatif. Et ça se révèle assez efficace, d’autant plus qu’après la lourdeur des groupes précédents, le public semble vouloir se lâcher et enfin faire la fête.
Vendredi 17 août
Palais du grand large
Eu égard au programme alléchant qu’il propose, ce dernier après-midi s’avère être l’après-midi des choix difficiles.
Pour débuter, je jète mon dévolu sur Ensemble qui se produit à l’auditorium, curieux de voir quelle transposition scénique Olivier Alary allait proposer à son superbe album éponyme paru l’an dernier chez l’exigeant Fat Cat. Sur scène, le maître à penser muni d’une guitare, mais se chargeant également de commander les programmations est entouré de Tamara Myrhe au clavier et au chant vaporeux, et d’un batteur au jeu d’une finesse bluffante, mais également capable d’embardées impétueuses. La guitare tantôt distille des arpèges cristallins, tantôt se voit affublée d’effets, les voix sont très 4AD dans l’âme et les morceaux d’une grande délicatesse. Les ambiances sonores déployées, accompagnées pour l’occasion de vidéos, sont tout bonnement immersives. Olivier Alary disait en début de set » Nous sommes Ensemble « . Il ne croyait pas si bien dire, car concernant mes pensées, elles étaient avec eux.
En raison de la grosse impression laissée par l’album des Gentleman losers, je décide de faire l’impasse sur le très attendu Final fantasy pour rejoindre la plage de Bon secours où le duo finlandais a grossi les rangs de sa formation, pour élever son effectif à cinq. A changement de conformation, changement d’ambiance. Alors que sur disque, les finlandais ravissaient par leurs ambiances sépia, le son légèrement usé et leurs boîtes à rythmes un peu crades et maladives, la transposition sur scène s’avère quelque peu différente et plus ordinaire. Les ambiances développées demeurent propices à la rêverie et collent parfaitement au cadre céruléen de la cité malouine, mais en arborant des contours plus post-rock, perdent un peu de leur charme. C.’est néanmoins fort appréciable de les voir sous un autre jour et au grand jour (eux que l’on imagine aisément comme des manipulateurs reclus au fin fond de forêts mystiques).
Fort de Saint-Père :
La soirée qui sera au final la plus réussie commence avec Voxtrott, et son indie-pop de facture assez classique mais qui manque de véritable accroche mélodique. On change littéralement de galaxie avec les quatre filles d’Electrelane qui offrent un concert d’une rare intensité. La foule est immédiatement happée par ce live abrasif. La musique construite sur des boucles bruitistes et répétitives s’appuie sur une base rythmique incisive. Le combo de Brighton offre ainsi un set hypnotique et irrésistible. On attend ensuite avec méfiance la performance d’Albert Hammond Junior, tellement le New-yorkais accumule les éléments pour faire de lui une parfaite tête à claques (il en est d’ailleurs conscient). Mais finalement il se montre simple et honnête sur scène, simplement heureux de jouer sa musique, qui fait inévitablement penser à The Strokes. Une performance sobre et élégante. On ne quitte pas la Grosse Pomme en accueillant les vétérans Sonic Youth. Déjà présents à l’affiche, il y a deux ans, ils avaient laissé un souvenir mitigé que leur show dévastateur du jour va vite faire oublier. En puisant uniquement dans un des chefs d’oeuvre de l’histoire du rock »Daydream Nation » on obtient forcément une set-list de folie. Mais encore faut il savoir extraire la sève de ces morceaux d’anthologie, retranscrire leur dynamique interne. Et ces toujours verts quinquas y sont parvenus avec facilité et classe. Dès les premiers accords de l’immense »Teenage Riot » le fort malouin est entré en fusion pour ne se refroidir qu’une heure et demie plus tard, au terme d’un concert tout simplement énorme qui rappelle qu’ils forment sûrement le plus grand groupe de rock en activité. Après une telle claque, on reste forcément un peu perplexe devant les français de Turzi. Leur son dense, proche du prog-rock 70.’s, n’est pas inintéressant mais il faut qu’on se laisse le temps de retomber du petit nuage où nous avait emmené la jeunesse sonique. Le festival se clôt cette année avec les LCD Soundsystem. Les morceaux electro à la base se découvrent une vraie consistance rock sur scène. Les hymnes jouissifs de James Murphy défilent sur un rythme endiablé devant 10 000 personnes en transe.
Parfaite conclusion festive d’une édition 2007 qui aura navigué entre petites déceptions et grands moments pour finalement laisser une impression d’ensemble plutôt réussie. Le festival malouin reste unique par sa configuration et par son exigence. Les programmateurs ont su depuis quelques années trouver l’équilibre entre grosses têtes d’affiche et esprit de découverte. Et si, pour la session d’été 2008, quelques noms fantasmés ont refait surface (New Order, Radiohead, PJ Harvey…… ?) nul doute que les organisateurs continueront leur travail de défrichage des musiques actuelles.
Sébastien Radiguet & Guillaume Duranel
Photos prises à la Route du Rock 2007
crédits photos : Pascale Duranel
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