Paris, 2002. Julia, une américaine de 45 ans, mariée à un très séduisant français, Bertrand, est chargée par son rédacteur en chef de travailler un article sur le 60ème anniversaire du Vél d’Hiv. Le 16 juillet 1942, des milliers de familles juives ont été parquées dans le vélodrome d’Hiver suite à la grande rafle menée par la police française. L’américaine ignore tout de ce chapitre d’histoire, mais elle apprendra, au cours de son enquête, qu’elle n’est pas la seule à avoir mis en berne ce dossier houleux… La honte de la France. Beaucoup de femmes et d’enfants ont été envoyés aux camps de la mort, et il n’y a eu aucun survivant.
La vie de Julia est un modèle de rêve éveillé avec un mari délicieux, une fille intelligente dans un cadre parisien cossu, chic et confortable. Son mari Bertrand a pourtant décidé d’emménager dans l’appartement de sa grand-mère Mamé, rue de Saintonge, et de refaire tout à neuf. Julia est vaguement convaincue… Elle ne devine pas aussitôt que les murs de cet appartement renferment des secrets, elle n’entend pas leurs murmures. En fait, Julia est complètement absorbée par son enquête, par ce qu’elle découvre sur le 16 juillet 1942. Elle court dans tout Paris, rencontre des survivants, bouscule les témoins de l’époque, se rend à Beaune la Rolande, à Drancy. Et sur sa route, elle croise un petit fantôme, celui d’une certaine Sarah, juive de dix ans, exportée avec sa famille durant la journée du 16 juillet 1942.
Au début du roman, on rencontre cette petite fille juive, seule avec sa mère et le petit frère, lorsque la police française tambourine à leur porte pour les exhorter à les suivre sur le champ. La fillette décide de cacher son petit frère dans un placard secret dont elle ferme la porte à clé en lui promettant de revenir plus tard. Promis. L’enfant ignore qu’elle part pour ne jamais revenir.. et quand elle le découvre, évidemment c’est l’horreur, l’angoisse, le sentiment de culpabilité et le début d’une lente agonie. Son petit frère, âgé de 4 ans, seul dans sa cachette, avec rien d’autre pour survivre que l’attente d’une promesse faite…
Les chemins de Julia et de Sarah se font écho, de 1942 à 2002. Soixante ans séparent cette enfant juive et cette américaine bouleversée par ce qu’elle découvre. L’enquête de Julia la mène beaucoup plus loin que prévu et va chambouler son existence entière. C’est admirablement rendu par la narration et le tempo donné par l’auteur. Tatiana de Rosnay a su imposer son roman »choc » et »chaud bouillant » sur un sujet aussi sensible. Il y a une émotion incroyable qui s’en dégage, je l’avoue : j’ai pleuré. Cela concerne le témoignage éprouvant de l’enfant, de son drame personnel et du secret qu’elle porte comme un boulet, mais toute la partie qui concerne Julia est également captivante. Cette américaine est une femme de caractère dans son travail, mais c’est une guimauve dans la réalité quotidienne. Ce qui survient dans sa vie familiale, par exemple, devient lentement une épreuve et un coup de boomerang, imprévisible. Irréversible, aussi. On se doute qu’il se passe quelque chose dans la rue de Saintonge… Si vous avez déjà eu entre les mains »La Mémoire des murs » vous pouvez comprendre que ce roman a été nourri de celui-ci (« Elle s’appelait Sarah » a été écrit vers 2003).
Il est donc important / urgent / nécessaire / indispensable (…) de LIRE ce roman très bien documenté, qui est aussi une leçon de mémoire et de devoir. Ne pas oublier. Zakhor. Al Tichkah. Souvenez-vous. N’oubliez jamais. C’est vraiment très fort et percutant. C’est écrit avec une réelle sensibilité, un sentiment d’implication et de tendresse. Et puis on pleure beaucoup, c’est vrai. Mais impossible de lâcher le livre avant la dernière page. Magnifique !
Stéphanie Verlingue
Elle s’appelait Sarah, de Tatiana de Rosnay
Editeur : Héloîse d’Ormesson – 356 pages, 22€¬
Traduction : Agnès Michaux
Publication : mars 2007