La narratrice n’aime pas les voyages en avion et c’est vraiment en gage d’amitié si elle effectue ce trajet qui la mène à Sarajevo. Elle a été alertée par la soeur de son ami qui demeure reclus, qui ne vit plus, ne sort plus, ne met plus un pied à l’extérieur. Qui lui est-il arrivé ? qu’est-ce qui se trame dans sa tête ..?
Ce voyage est un point d’honneur. La narratrice semble faire un chemin en arrière dans ce pays voisin de son Albanie natale. Un jour, elle est partie en Italie avant de s’établir à Paris où elle vit. Forcément, les Balkans posent sur elle un regard de fascination, la sollicitent, lui trouvent un teint »vert » (Tiens, dit-il soudain en haussant le ton afin de paraître plus convaincant, tu as viré au vert. Attention ! – Au vert ? Quel vert ? – Le vert de la migration, ma pauvre. Le vert de la dénutrition auquel on reconnaît ceux dont les racines sont à l’air. Fais attention, c’est ainsi que commence la maladie dont je te parle. ). Le vert rappelle le capitalisme, la richesse des pays occidentaux, la couleur du dollar… et le capitalisme brouille le teint. On devine le fossé creusé entre les gens restés au pays et ceux qui sont partis, ce sont eux aussi des étrangers désormais.
Mais ce rêve des migrants a un coût et ils ne sont pas rares ceux qui décident de rentrer au pays, comme ce chauffeur de taxi »Ces Albanais et d’autres encore nourrissent un désir ardent. Ils veulent modifier l’image de leur pays, mais, comme l’histoire l’enseigne, c’est un projet difficile qui requiert parfois beaucoup de temps » Malgré le constat d’amertume, l’histoire inculque donc un amour de la mère patrie qui est truffé de paradoxes : les mirages de l’eldorado, le goût de l’ailleurs, le coeur des Balkans… La narratrice effectue une odyssée qui n’est pas sans réveiller des sentiments, des observations. Tout l’attache et pourtant elle sait qu’elle n’appartient plus à ce peuple »Le sang, ce n’est pas de l’eau ! Impossible de jouer l’indifférente, impossible de tourner la tête sans écouter »
Dans ses précédents livres, Ornela Vorpsi nous intéressait davantage à sa jeunesse à Tirana, à ses proches et cette envie commune de traverser les frontières. Dans »Vert Venin » il est finalement question de cet après, de ce que ressentent les migrants, les frustrés, les rejetés et ceux qui y croient encore… Le portrait est sensible et mélancolique, écrit dans une langue poétique, mais avec beaucoup moins d’humour (cf »Le pays où l’on ne meurt jamais »).
Stéphanie Verlingue
Vert Venin, de Ornela Vorpsi
Editeur : Actes Sud – 128 pages, 13€¬
Publication : janvier 2007