Ne pas chercher ici une énième version romancée des aventures mythologiques du navigateur épris des charmes des sirènes, ou alors, si l’on veut rester dans la métaphore du titre, l’Ulysse de Santiago Gamboa est un Ulysse nouvelle génération, épris de culture française et de sexe débridé, un Ulysse qui tente tant bien que mal de s’en sortir dans une jungle urbaine qui laisse peu d’espoir aux émigrés, un Ulysse perdu dans un Paris d’exil où la survie est primordiale.
Ulysse est donc, dans ce livre, Esteban. Nouvellement débarqué dans la capitale de la France, ce jeune émigré colombien, étudiant à la Sorbonne, doit vite se rendre à l’évidence : Paris n’est pas le paradis escompté. Dans cet environnement de sans-papiers, de débrouille et de misère sociale intense, il tente de se faire une place au soleil, ou du moins de vivre décemment. A force de rencontres, de hasards, de bagout et de séduction, il parvient malgré tout à s’en sortir par de petits boulots, et à exister au travers des discussions enflammées avec des réfugiés politiques, des SDF venus des quatre coins du globe, ou à travers de chaudes rencontres d’un soir, des prostituées d’autres contrées comme des françaises bourgeoises »
Le sexe comme échappatoire, le cul comme exutoire de l’angoisse perpétuelle du quotidien. Pour se sentir vivre, autant aimer et être aimé, rien d’autre n’a d’importance. Constat lucide pour l’auteur, colombien lui aussi, mais qui parvient, grâce à un procédé narratif inventif (les personnages rencontrés par Esteban font l’objet de chapitres particuliers immédiatement après leur rencontre avec le héros), à rendre compte de l’état de l’immigration et de la clandestinité en France. Sa ribambelle de protagonistes, émigrés de tous pays, possèdent chacun un passé unique et douloureux, l’exorcisent à leur façon (ou pas), et tentent tant bien que mal de s’offrir une deuxième chance dans l’Hexagone. A l’heure d’une remise en question totale du sort des émigrés en France, il est bon et nécessaire de se plonger sans masque dans cet univers difficile mais chaleureux, ce Paris loin des cartes postales surannées qui subsiste encore chez de nombreux écrivains actuels. Et c’est là , dans cet amer descriptif du quotidien de démunis venus d’autres pays, que le titre revêt toute son importance. Le syndrome d’Ulysse survient tôt ou tard sous la forme d’une maladie mentale qui touche une partie grandissante des migrants placés en situation extrême, et qui met en jeu leurs souvenirs liés à l’exil ou à leur situation de clandestinité.
Postulat misérabiliste, mais résultat stimulant, passionnant : ce roman de près de 400 pages se lit d’une traite. Rythme assez effréné, personnages extrêmement bien cernés et travaillés, passages érotiques surprenants et franchement réussis – car les personnages sont avant tout des personnages qui vivent essentiellement par et pour le sexe »- et, enfin, style littéraire parfait : fragmenté et souple à la fois. Santiago Gamboa se fait le porte-parole des citoyens du monde, personnages vagabonds, déracinés, mais solidement ancrés dans un quotidien fait de dangers et de bonheurs, où chaque minute se fait précieuse, où l’existence a peur de l’avenir et où l’on vit intensément le présent.
Pas d’empathie, pas de pathétique larmoyant : Santiago Gamboa insuffle à son « Syndrome d’Ulysse » une telle énergie, un tel souffle romanesque qu’on en ressort gonflés à bloc, prêts à » mordre la vie avant qu’elle ne nous bouffe » comme le dit si bien Esteban, héros malgré lui de cette saga malheureusement très actuelle »
Jean-François Lahorgue
Le Syndrome d’Ulysse, de Santiago Gamboa
Traduit de l’espagnol par Claude Bleton
Titre original : El Sindrome de Ulises
editions Métailié
370 pages – 21 €¬
parution : 23 août 2007
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