Le pari, risqué, a le mérite d’être tenu jusqu’au bout. Dans une veine contemporaine reflétant le spectre de Melville, Alain Corneau revisite le chef-d’oeuvre éponyme du grand cinéaste français, en utilisant un maximum de la nouvelle technologie, en sophistiquant à son paroxysme les techniques du cinéma pour en tirer le plus visible contraire esthétique de son prédécesseur. Du moment que l’on aime les défis, les remixes, les gueules d’acteur et les voix rocailleuses, le plaisir ne se cachera pas à vous. Partant du mythe pour le désintégrer, le retoucher, le rhabiller, Corneau, tel un DJ du cinéma, revoit à fond l’esthétisme pour en trouver l’exact opposé – du N&B vieillot aux couleurs ultra-saturées, de la précision du temps aux ralentis abondants – , quitte à donner à son film une allure de boîte de nuit ambulante (comme lors d’une scène de dialogue de 5 minutes sur néon violet). Pourtant, il n’y a rien d’ampoulé dans ce film, car la maîtrise des lumières resplendit d’un moment à l’autre. L’utilisation intelligente et ample de la caméra, capte ce qu’il faut, mélange les couleurs comme un pinceau tenu par un grand artiste-peintre.
De l’autre côté, il y a l’impressionnant casting, dirigé de main de maître (mentions spéciales à Michel Blanc et Jacques Dutronc), dans lequel chacun des acteurs trouve une place de choix. Bien positionnés dans leurs rôles, ils font revivre, grâce à des dialogues savoureux à la Audiard (en réalité de José Giovanni, également auteur du roman original), ces anciennes gueules burinées du cinéma français. Tous splendides (Nicolas Duvauchelle atteint une belle maturité dans l’expression, Gilbert Melki est irrésistible et sobre, Auteuil égal à lui-même), ils sont une bonne raison de voir ce deuxième souffle futuriste mais au charme pourtant bien d’antan. Corneau a donc su manier avec beauté (quelle mise en scène!) et générosité le classique (atmosphère moite et sombre superbement retranscrite, dialogues ironiques, etc… ), et la nouveauté (les parti pris esthétiques, les ralentis, les fusillades hors-temps, la violence exacerbée… ) »Défossilisation » remix, pièce de théâtre, polar bien de chez nous, voilà tout ce qu’est »Le deuxième souffle » version Corneau, qui évite les clichés de la reconstitution (finalement magnifique), et les personnages stéréotypés.
Le scénario reste relativement simple mais bien tenu, bourré d’envolées romantiques et de beaux sentiments, la musique apporte une très belle touche de nostalgie (même si le thème principal se répète trop souvent), mais malheureusement, de ce film aux mouvements et à la diction théâtralisée qui nous fait partager ce sincère désir de cinéma dont on ne doutera plus, ne se diluent pas les grandes longueurs, les grands étirements de dialogues.
Ce travail de DJ finit donc par fatiguer ; à force de scratcher ses platines (durant 2h30 tout de même), Alain Corneau nous aveugle, nous ennuie, nous agresse presque. Même si l’ensemble est honorable, beau, travaillé, original, osé (étonnante scène d’ouverture, filmée comme un opéra), fondé sur un beau désir de retouche inoffensive – bien loin du massacre – , beaucoup y trouveront le souffle court…
Jean-Baptiste Doulcet
Le Deuxième souffle
Film policier français de Alain Corenau
Durée : 2h36
Sortie : le 24 Octobre 2007
Avec Daniel Auteuil, Monica Bellucci, Michel Blanc
La bande annonce :