« Je ne sais rien de mes origines. Je suis né à Paris de mère inconnue et mon père photographiait les héroînes. Peu avant sa mort, il me confia que je devais mon existence à un baiser de cinéma »
Depuis la mort de son père, le narrateur, avocat au Barreau de Paris, passe ses fins de journée dans un cinéma d’art et d’essai à visionner sans jamais se lasser le cinéma en noir et blanc de la génération Nouvelle Vague. Car derrière les sourires figés de Delphine Seyrig, Romy Schneider, Françoise Dorléac, Anouk Aimée, Anna Karina ou Jean Seberg, Gilles pense saisir le mystère de son père, détecter une trace de sa mère.
Jean Hector était un capteur de lumière, un génie de la pellicule. L’homme a aimé beaucoup de femmes mais est parti avec ses secrets. Au fils qui a grandi seul, dans son coin, à ressasser ses questions, il ne reste aujourd’hui qu’un appartement avec des photos en noir et blanc, des journaux et des bobines de films amateurs.
Au cinéma Les Trois Luxembourg, le narrateur fait un jour la connaissance de Mayliss de Carlo. « Elle était très belle et très blessée ». Gilles tombe sous le charme, devient amoureux éperdu de cette femme qui est mariée et mère d’un petit garçon. Pourtant, les deux amants vont vivre une liaison fusionnelle, mais épuisante.
Et le roman va s’écrire sur ces deux poids, deux mesures ; d’une part il y a un enfant brisé de n’avoir jamais compris son père et qui cherche coûte que coûte à retrouver sa mère, et de l’autre il y a un homme envoûté par une femme insaisissable, elle aussi. Un seul homme, deux femmes, une quête impossible.
C’est finalement l’éternelle idée de » capturer une image » celle sur l’écran, celle sur la photographie et celle coincée dans une vie sans passion. Le roman d’Eric Fottorino est, sur ce plan, incroyablement fascinant. Il est merveilleusement bien écrit, très raffiné, empreint de zones d’ombre, influencé par les séances de films en noir et blanc, où l’on croise des héroînes gracieuses et immortelles. Découvrir les mystères sur les origines de Gilles Hector est un fil rouge, le lecteur se prête à rêver une issue incroyable, et puis il y a cette aventure avec Mayliss de Carlo qui prend peu à peu une place plus imposante dans le récit.
C’est une histoire toute simple, finalement : un garçon qui a perdu son père, qui n’a jamais connu sa mère, qui ne parvient pas à aimer et qui tombe fou d’une femme inaccessible… « Baisers de cinéma » est un roman mille fois plus troublant qu’il n’y paraît. Le portrait d’un homme s’y dessine, les voix des absents y murmurent et les secrets pleuvent, sans forcément trouver de réponses. Mais c’est ce qui rend ce roman attachant, incontestablement brillant et enchanteur. » Il accumulait des images à charge comme on cherche des preuves contre le temps qui passe. Mais toutes ces femmes finissaient par lui échapper avec son consentement. Loin de percer leur mystère, il prenait plaisir à l’épaissir. » (…) « Voilà ce que j’étais pour lui : un être qui passe et qu’on ne voit pas, un silence, une absence ».
Stéphanie Verlingue
« Baisers de cinéma » a obtenu le prix Femina 2007.
Baisers de cinéma
auteur : Eric Fottorino
Editeur : Gallimard
190 pages – 14,50 euros
parution : août 2007