« Arlington Park » est une petite banlieue anglaise, ni trop chic ni trop ringarde, c’est un quartier tout ce qu’il y a de plus ordinaire, avec ses habitants tout aussi quelconques. C’est la nuit, les rares passants rentrent chez eux, affrontant sans ciller la pluie torrentielle, lorsque Juliet Randall se réveille d’un cauchemar. Ce cafard qui faisait son nid dans ses cheveux lui semble l’image fantasmée de sa vie devenue impossible. Ancienne étudiante brillante, désormais mariée et mère de deux enfants, Juliet a le sentiment d’être assassinée à petits feux par son semblant d’existence. L’inertie de sa petite vie grotesque, entre son boulot de prof dans une école privée et la routine domestique, lui saute au visage, lui criant sauve-qui-peut de s’échapper d’une telle atonie.
Mais le roman de Rachel Cusk nous ouvre la porte des autres foyers d’Arlington Park, découvrant combien les femmes se sentent tout aussi passives et horrifiées de leur train-train. Ces femmes et mères au foyer, pas loin d’être désespérées, mesurent l’étendue de leur agonie en se rendant au centre commercial, ou autour d’une tasse de café, dans une cabine d’essayage ou chez le coiffeur. La vérité devient flagrante lors d’une discussion du club littéraire à propos des Hauts de Hurlevent ou au cours d’un repas organisé pour huit personnes.
Pas »Desperate Housewives » dans l’âme, de loin en loin, le roman est surtout le cliché d’un jour sur les propos de mères et d’épouses qui révisent leurs sacerdoces, en sachant combien les jours passent et se ressemblent, qu’elles n’y changeront rien car elles acceptent ce sort ! Si certains discours peuvent apparaître amers, ils ne sont pas non plus révolutionnaires. On voudrait donner au lecteur un nouveau phénomène à découvrir en passant à la loupe les femmes au foyer. Mais l’anglaise Rachel Cusk réussit là une étude espiègle, déviant sans heurts la lassitude, et copiant la Mrs Dalloway de Virginia Woolf pour décrypter la journée du lever au coucher de ces habitantes d’Arlington Park.
Il y a dans ce livre des portraits plutôt frappants de la psychologie de cinq femmes de cette banlieue. On y trouve d’emblée de l’amitié mielleuse, et fielleuse, de l’acrimonie, de la jalousie rongée, de la frustration sans honte, de la vengeance muette et de l’incompréhension la plus pure ! Et pour finir, de l’acceptation dans toute sa splendeur hypocrite, de cette vie passablement rangée, mollement menée mais pas si mauvaise que ça dans le fond ! Pas drôle et un peu acerbe, »Arlington Park » ne s’embarque cependant jamais dans la désespérance facile, ne rappelle pas du tout le feuilleton US à succès mais photographie avec justesse les consciences, visite les pensées de femmes qui approchent de la quarantaine et se permettent d’analyser leurs petites vies. Parce que le lisse aussi, ça existe ! Et Rachel Cusk nous montre les dessous d’un trompe-l’oeil presque familier.
Stéphanie Verlingue
Arlington Park
de Rachel Cusk
Traduit de l’anglais par Justine de Mazères
Editeur : l’Olivier
292 pages – 31 euros
Publication :23/8/2007