Philip Roth avait-il besoin de confirmer qu’il est l’un des plus grands écrivains américains actuels ? Non, et pourtant il le fait avec ce dernier court et magnifique opus.
Un homme est mort, âgé d’environ quatre-vingt années. Ses proches et de son petit nombre d’amis évoquent, lors de ses funérailles, quelques moments de sa vie, une vie d’Américain moyen, une vie jalonnée de joies et de doutes, de rencontres et de séparations. Ces témoignages sont également mêlés à de brefs récits du défunt qui se remémore une existence à se poser des questions sur le sens de sa vie. Et au fur à mesure du temps qui s’égrène, cette peur de la mort, cet effroi de l’arrêt brutal de son coeur, et de son âme.
Sécheresse, froideur, aridité : ainsi pourra-t-on qualifier l’écriture particulièrement neutre de Philip Roth. Quand on a tout dit, romancé l’Histoire, les communautés, les grandes perversités et turpitudes des hommes et des époques, et qu’on s’attaque au sujet ultime : la fin de la vie, la mort, comment peut-on la décrire, la raconter, en parler ? Roth a choisi : sans fard, de manière sobre, quasi clinique : le résultat est fort, impitoyable, immense. Ce qui frappe le plus dans ce roman, c’est l’attachement de l’écrivain à rendre compte minutieusement des dégradations progressives du corps de cet homme. De longs paragraphes sont consacrés au délabrement anatomique du héros et des souffrances que cela provoque, les douleurs physiques bientôt rejointes par les douleurs nostalgiques des erreurs du passé, des choix non assumés, des fautes de parcours qui font regretter une vie passée à tenter de constamment la modifier.
l’homme du titre n’a pas d’identité, cet homme, c’est donc tout un chacun, c’est nous. C.’est aussi l’auteur lui-même qui se met en scène avec une rare lucidité : l’écrivain qui comprend que le temps de croquer la vie à pleines dents est révolu. Plus sage, plus dur avec sa personne, plus cru : ce dernier ne se fait pas de cadeau, pas plus que la vie ne lui en fait. l’universalité du propos est pourtant restreint au stade de l’intime, il se découvre dans ces belles lignes où l’auteur laisse deviner ses fêlures sous l’écriture neutre et sincère.
Si beaucoup de personnes risquent de préférer d’autres romans de Philip Roth, »Un homme » demeure pour moi l’un de ses sommets.
Jean-François Lahorgue
Un homme, de Philip Roth
Editions Gallimard
Collection : Du monde entier
153 pages – 15,50 €¬
Parution : 8 novembre 2007