Premier essai derrière la caméra pour le romancier Philippe Claudel, qui n’adapte aucun de ses livres mais exécute la mise en image d’un scénario qu’il a lui-même écrit dans l’idée d’en faire directement un film. On retrouve donc la patte littéraire, les dialogues de ‘beau français’ avec des phrases pleines d’expressions sur la douleur et l’incompréhension humaine. C’est plutôt agréable, et le scénario, quoique relativement classique, tient la route avec une certaine prise en compte d’éléments de littérature. On est même touché, parfois, grâce à l’intensité de la composition de Kristin Scott Thomas, enfin immense, pleine de désarroi et de fausse pudeur, et la sympathique présence de Laurent Grévill. Tout ça est très bien, mais malheureusement, le reste de la distribution patine dans un texte qui ne décolle jamais, théâtral et plein d’emphase, affichant vaguement son côté ‘création intellectuelle française d’aujourd’hui’.
Les deux soeurs qui se retrouvent, l’une ayant passé un long séjour en prison (15 ans) pour une raison que le cinéaste se sent obligé de dévoiler vers le début, laissant germer un twist final peu crédible, n’ont pas eu le droit à une relation intense, bouleversante au-delà des mots. Car ici, au travers de ses suspensions agaçantes et de ses petites touches d’émotion inégales, le film parle trop, et n’empêche pas les maladresses de faucher un postulat de départ pourtant intéressant.
Mais aussi à cause d’un montage amateur, d’un cadre peu fignolé et de lumières ternes, »Il y a longtemps que je t’aime » tombe dans le navrant, ennuie mais nous fait au moins apprécier, et c’est pour cela qu’elle est grande, Kristin Scott Thomas, qui, même sans être magnifiée, même en étant filmée avec toute la laideur du monde, parvient à transcender le décor et à exister avec amplitude. On peut rapidement comprendre que le but de Claudel est simplement de filmer l’humain, la vie ordinaire avec ses petits tracas et ses existences bouleversées, d’où une certaine impression de platitude esthétique, mais il faudra qu’il absorbe des mouvements de caméra bien plus naturels, des lumières plus développées même si elles restent classiques, et des cadres un peu plus creusés ; car c’est avant tout cela qui fait la rythmique et le charme d’un film.
La B.O. , naîve aussi, résume un peu l’esprit d’un film gentil, réservé à une majorité de gens, touchés parce qu’ils y voient le reflet de leur propre existence, des moments de bonheur ou de peine, le soleil de la campagne, le rejet des grandes villes, le deuil, les liens sororaux, les flirts amoureux, bref des thèmes qui marchent toujours autant, et qui n’ont pas besoin d’une grande maîtrise pour happer les spectateurs ; ils leur en faut peu. A noter, Claudel semble prendre un malin plaisir à citer Rohmer, avec un sous-entendu assez destructeur ; pourtant, il aurait fallu à son premier film l’esprit solaire de ce grand Pape du cinéma français, cette fraîcheur, cette vivacité des lieux et des esprits pour éviter à son film de se figer dans l’inertie.
Jean-Baptiste Doulcet
Il y a longtemps que je t’aime
Film français de Philippe Claudel
Genre : drame
Durée : 1h55
Sortie : 19 Mars 2008
Avec Kristin Scott Thomas, Elsa Zylberstein, Serge Hazanavicius…