C’est un mélo (ou presque) à Melo : dans cette petite ville uruguayenne située à la frontière brésilienne dont l’économie repose surtout sur la contrebande, le pape Jean-Paul II vint faire une visite éclair en 1988. Du fait de la proximité du grand voisin catholique, les habitants de Melo, excités et trompés par la frénésie médiatique, voient l’excursion papale comme une aubaine : en proposant aux milliers de pèlerins attendus des victuailles (chorizo et autres spécialités) et des boissons (dont le maté local), ils espèrent en récolter quelques fruits et améliorer leur triste sort.
Beto ne déroge pas à la règle : homme simple qui survit grâce aux petits trafics qu’il opère entre les deux pays sur un vélo bringuebalant et qui lui occasionnent bien des tracas avec Meleyo, le douanier volant, il propose à sa femme et à sa fille une idée géniale : construire dans leur jardin des toilettes où les fans du pape pourront venir se soulager. Pour accumuler l’argent et les matériaux nécessaires à son projet, Beto multiplie les passages sur sa bicyclette vétuste, chargée de produits.
Ils s’y sont mis à deux pour réaliser Les Toilettes du Pape, en train de devenir en Uruguay un des plus grands succès nationaux : Enrique Fernandez, scénariste, assistant et cameraman, est lui-même originaire de Melo et Cesar Charlone, directeur de la photographie installé au Brésil, célèbre pour avoir assuré en 2001 la photographie de La Cité de Dieu. Si Les Toilettes du Pape ne possède pas la même esthétique réussie que le film de Fernando Meirelles, il n’en soigne pas moins son apparence : images et couleurs contrastées, ciels chargés sous des paysages d’herbe grasse. Cette volonté esthétisante est néanmoins plombée par un filmage trop saccadé, incapable de se fixer plus de trente secondes sur un même plan et multipliant à l’envi des angles bizarres et artificiels.
En fait, le sujet principal du film arrive après une longue mise en place où il est question des allers-retours de Beto et ses comparses, de leurs déboires incessants.
Le plus gros souci au sujet du film, c’est l’ambiguité qu’il cultive : on ignore s’il se veut une comédie satirique ou une farce cruelle. La cupidité innocente et la crédulité des habitants de Melo sont gentiment épinglés par les deux réalisateurs jusqu’à la visite de Jean-Paul II : après celle-ci, hâtive et boudée par les Brésiliens, Fernandez et Charlone enchaînent par une succession de tableaux figés, montrant le désarroi et la ruine des uruguayens devant leur stock de denrées restées en l’état. L’aspect tragique de cette mésaventure est rapidement liquidé au profit d’une fin bêtemnt optimiste et enchantée.
Si la narration parvient à s’articuler autour d’un fait réel en épousant le point de vue de Beto et son entourage et si le casting convainc par son détonnant mélange entre comédiens professionnels et amateurs du cru, on n’en est pas moins déçus d’une vision édulcorée et simpliste d’une communauté de gens (très) pauvres auxquels les deux cinéastes n’offrent qu’un regard trop convenu et anecdotique.
Patrick Braganti
Les Toilettes du Pape (Titre original : El Bano del Papa)
Film uruguayen de Enrique Fernandez et César Charlone
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h35
Sortie : 19 Mars 2008
Avec Cesar Troncoso, Virginia Mendez, Mario Silva, Virginia Ruiz