Lady Jane

aff film_2.jpgLe refrain est bien connu : Noir, c’est noir et il n’y a plus d’espoir. Un air que l’on pourrait se prendre à  fredonner à  la sortie de Lady Jane, si tant est d’ailleurs qu’il soit envisageable d’avoir une telle envie. C’est plutôt les épaules affaissées, le moral en berne que l’on quitte la salle de projection. Un cafard pernicieux chevillé à  l’âme, non pour avoir vu un mauvais film, bien au contraire, mais comme l’expression logique d’une empathie avec le trio de personnages et par-delà  une communion de point de vue avec Robert Guédiguian, qui signe là  son film le plus noir, le plus désespéré.

Une nouvelle voie en quelque sorte que le cinéaste marseillais avait déjà  explorée avec A la place du coeur en 1998 (sur le racisme) et avec le très réussi La Ville est Tranquille en 2001, où une colère froide s’exprimait sur fond de misère sociale et de magouilles politiques. Quelle que soit l’ambiance de ses films – de la plus poisseuse à  la plus optimiste, et dans ce dernier cas, l’amour fait office de panacée – le réalisateur de Marius et Jeannette a depuis le début couplé son oeuvre à  un engagement militant : une oeuvre pour dénoncer les dysfonctionnements de la société et pour rendre hommage aux gens modestes. Néanmoins, Robert Guédiguian amorce depuis 2004 un tournant sans renier ses positions ni oublier sa troupe fêtiche de comédiens : après Le Promeneur du Champ de Mars, il met en scène Voyage en Arménie, qui lui permet de s’interroger sur ses origines et le poids des racines.

S’il marque le retour à  Marseille, Lady Jane – titre que l’on attribuerait aisément à  Ken Loach, est-ce aussi un clin d’oeil à  Ladybird ? – abandonne la sphère sociale habituelle. A la suite de l’enlèvement contre rançon de son fils Martin, Muriel, bijoutière aisée à  Aix-en-Provence, reprend contact avec François et René. Vingt ans auparavant, ils formaient un trio de cambrioleurs au grand coeur, sortes de Robin des Bois capables de distribuer des fourrures volées à  toutes les femmes de leur quartier : c’est la première scène du film, le seul moment de joie, de bonheur et de vie.
La vie, c’est ce qui a deserté chaque membre de la petite bande. François, amoureux inconsolable de Muriel, s’ennuie dans sa petite entreprise de réparation de bateaux et René végète comme minable factotum d’une boite de strip-tease. Lorsque le fils de Muriel est sauvagement tué dans un parking souterrain – le meurtre intervient dans le premier tiers du film – la vie semble à  son tour se retirer de la bijoutière.

Lady Jane joue en fait sur deux registres : le polar avec ici comme clef de voûte le moteur de la vengeance et la chronique désenchantée du parcours de trois amis d’enfance réunis par une soif d’idéal que le temps et la séparation ont tarie. Alors que le second champ possède davantage les marques du cinéma de Guédiguian, c’est curieusement le premier qui emballe le spectateur. Le cinéaste digère les codes du polar et réalise une première partie aux dialogues rares, qui prend place dans des endroits glauques, le plus souvent la nuit. La scène du rendez-vous avec le kidnappeur dans la gare TGV en constitue le point culminant. C’est complètement efficace, sans gras, et cette mise en scène sèche n’aurait pas besoin de plus d’explications. Celles-ci ne vont cependant pas tarder à  être fournies au compte-gouttes, pour rétablir les divers éléments du puzzle dont le motif principal est une banale histoire de vengeance.
Quasi muet à  l’origine, Lady Jane commence à  s’emplir de dialogues plus ou moins inspirés. Pour émouvante et sincère qu’elle soit, la visite de Muriel et François à  leur ancien quartier – dont quelques plans suffisent à  montrer le délabrement avancé – et au vieil Henri, parrain bien décati, se teinte d’une nuance mélodramatique un peu trop appuyée.

Si la livraison de toutes les clefs ne paraît pas indispensable au déroulement de l’histoire, c’est par contre ce qu’elles révèlent en creux des personnages qui les rendent plus pertinentes. Et font définitivement basculer le film dans une noirceur abyssale, pas uniquement liée au drame initial.
Ce qui jaillit à  cet instant, c’est la mort du passé, l’impossibilité à  le faire revivre et à  redonner du sens à  une existence qui en est à  présent dépourvue. Dans Marseille, où il pleut souvent et où le froid oblige à  remonter son col, il n’y a pas grand-monde sur les places proprettes et la ville n’a jamais semblé aussi »tranquille ». Et vide, comme le coeur de Muriel, François et René renvoyés à  leur solitude et leur enfermement.
A sa façon, Lady Jane est aussi un film sur le temps qui passe, avec son lot de résignations et de renoncements, la perte des grands principes, aussi puérils soient-ils, et le choix d’un embourgeoisement confortable, mais pas réconfortant.
On sait gré à  Robert Guédiguian de cette lucidité douloureuse sans complaisance et de la capacité qu’elle sous-tend à  être dans le monde et à  continuer à  en dire les maux. Pour cela aussi, Lady Jane est bel et bien un grand film.

Patrick Braganti

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Lady Jane
Film français de Robert Guédiguian
Genre : Policier
Durée : 1h42
Sortie : 9 Avril 2008
Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan

La bande-annonce :

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