A l’attention de ceux qui ont vu l’original, il faut voir cette nouvelle version pour son but : ‘sensibiliser’ par la violence extrême le public américain, victime de l’argument de vente cinématographique qui tue : la violence gratuite. Certains diront que le message est inutile tant la violence peut être vu comme un plaisir à peine coupable au cinéma puisqu’il s’agit d’une possibilité tout à fait humaine auquel nous sommes tous accordés, même les plus pacifistes.
Mais Haneke, lui, ne supporte pas ça. Intello? Justifiable? Lucide? Maniéré? L’exacerbation de cette violence a donc l’effet que nous savons, et oui, l’ultra-violence pour combattre l’ultra-violence peut avoir un effet positif ; car ce n’est que le malaise qui nous engloutit ; nous sommes constamment pointés du doigt (les criminels s’adressent souvent à nous), victimes d’un phénomène de naturalisation de la violence ; car peu de films osent tant, ou du moins osent l’agressivité du silence envahir les images qui sont là , devant nous. Violent dans la musique (de Haendel à John Zorn, le choc est terrible!), dans son procédé (le si polémique renversement de situation avec la télécommande, double-couche de violence infligée au spectateur, et piétinement de nos espérances), dans l’atmosphère qu’il installe (la subtilité du jeu des deux tueurs avant tout acte de violence confère un esprit paisible qui contraste intelligemment à la suite, tout en crescendo).
Mais il faut bien rappeler que ce film est le remake identique (à quelques durées près), de l’original. Seuls les acteurs changent. Si Naomi Watts fait plus fort encore que l’exceptionnelle prestation de Susanne Lothar, Ulrich Mühe reste gravé dans nos mémoires par rapport à un Tim Roth un peu trop insaisissable. Todd Gearhart, dans le rôle de l’enfant, a exactement la même grande valeur que Stefan Clapczynski, et enfin Michael Pitt et Brady Corbet installent un charme physique que Arno Frisch et Frank Giering n’avaient pas. Cela étant, Funny Games U.S. est-il meilleur que Funny Games ? Impossible à dire… ce que cette version gagne ou perd fondamentalement, c’est la beauté de Naomi Watts : elle permet de mieux stéréotyper le personnage de la superbe femme victime de voyeurisme, et rend plus fort encore l’impact de sa maltraitance. Mais pourtant, même si Haneke n’ose pas nous la montrer nue lors de l’effrayante scène où elle se voit contrainte de se déshabiller, tout comme dans l’original d’ailleurs, on a la constante impression que Watts tient du fantasme pour lui. Cette sensation de perversion pouvant jouer un effet tout à fait inverse à ce qu’il tend à démontrer, difficile de juger le propos du film sans les preuves de la stabilité psychologique de Haneke (preuves que l’on n’aura jamais), et donc de savoir si l’apport de Watts dans ce Funny Games U.S. a réellement une finalité positive – est-elle simplement maltraitée dans le film, ou en plus par la caméra?
Après, reste que l’ambiance est la même (et de ce côté-là bravo, tout restituer avec la même mise en scène et les mêmes accents de malaise!), et que le propos est aussi choquant et implacable. Ainsi quand les deux fous parlent de réalité et de fiction, c’est bien à nous, comme s’ils étaient filmés en direct, que ses inhumains se confient. C’est vers nous qu’ils clignent des yeux, qu’ils tendent la main, c’est nous qu’ils entraînent dans ce tourbillon vomitif de la perte, et de la déchéance d’une jeunesse aveuglée par la blancheur écarlate des maisons trop propres. Evidemment, deux fils de bonne famille ne sont pas là pour rien, et Haneke, appuyant leurs visages tout comme ceux des victimes, projetant tous ces êtres sur la même lignée, fait de son film une oeuvre ancrée dans une réalité certaine, visant dans le mille la mauvaise foi et la violence artistique, et qui plus est dans une période charnière où la violence va plus loin que l’art, passant de plus en plus entre les médias. Cette violence, ici, n’est faite que de répulsion, d’application, de non-dit, de hors-champ, comme pour nous suggérer le malaise par le refus de montrer ce que l’on a toujours l’habitude de voir. Ainsi, il est amusant – un instant seulement – de se rendre compte que, quand la caméra vise la télé allumée et que rien ne se passe avec les personnages dans le cadre, nos yeux se rivent instinctivement sur la seule présence de mouvement. En fixant cette télé, Haneke nous tend un piège, et nous montre tout simplement comment le conditionnement (politique et médiatique en particulier) nous a fait dominateurs et vulgarisateurs d’une certaine violence, formatée, emballée, irréelle et très, très dangereuse.
Jean-Baptiste Doulcet
Funny Games U.S.
Film américain de Michael Haneke
Genre : Thriller
Durée : 1h51
Sortie : 23 Avril 2008
Avec Naomi Watts, Tim Roth, Michael Pitt
Plus + :
Site officiel :
Blog officiel :
J’ai adoré l’original de Haneke… je redoutais cette version US, mais vous avez attisé ma curiosité… je vais donc aller le voir, me faire mon idée ;).
Troy
J’ai adoré l’original de Haneke… je redoutais cette version US, mais vous avez attisé ma curiosité… je vais donc aller le voir, me faire mon idée ;).
Troy
J’ai adoré l’original de Haneke… je redoutais cette version US, mais vous avez attisé ma curiosité… je vais donc aller le voir, me faire mon idée ;).
Troy