Dans le beau documentaire Rue Santa Fé, la réalisatrice chilienne Carmen Castillo évoquait entre autres son passé de miriste, d’exilée sous la contrainte à Paris, son retour et le fossé qui s’était entre-temps creusé entre ses compagnons de lutte et la nouvelle génération peu encline à s’encombrer d’un passé dont elle juge – sans doute à tort et un peu rapidement – les acteurs égoîstes et sottement idéalistes.
Elle-même réfugiée à Paris depuis sa plus tendre enfance, l’argentine Lucia Cedron met en scène pour son premier film Teresa, de retour à Buenos Aires, qu’elle quitta en 1978 à la mort de son mari, alors qu’ils étaient tous les deux opposants au régime d’exception instauré par la junte militaire sous le commandement du général Videla. Difficile de ne pas établir des passerelles entre les histoires mouvementées des pays sud-américains. Même si Lucia Cedron signe une fiction, elle s’inspire de sa propre histoire et rend hommage en creux à son père cinéaste décédé vingt-cinq ans plus tôt.
Ce qui ramène Teresa en Argentine, c’est l’appel à l’aide de sa fille Guillermina suite à l’enlèvement d’Arturo, grand-père et père des deux femmes. L’originalité et la réussite de Agnus Dei résident en sa construction qui enchevêtre passé et présent, en recourant à de longs flash-back qui reconstituent peu à peu les éléments d’un puzzle compliqué. Il faut déjà du temps pour comprendre que la petite fille blonde qui fait la joie de son papa moustachu et de son papy propriétaire de chevaux n’est autre que la jeune femme énergique et indépendante, résolue à extirper Arturo des griffes de kidnappeurs vénaux – Agnus Dei se situe en 2002, année de crise caractérisée par le chaos économique, politique et social et la multiplication de rapts pour motifs crapuleux.
Lucia Cedron sait donc entretenir le suspense en livrant au compte-gouttes les clefs de l’histoire familiale. Elle resserre au fur et à mesure la narration sur le personnage de Teresa, d’abord perçue comme femme plutôt sèche et distante, avant que les raisons de son comportement soient exposées et que notre opinion sur elle puisse se préciser.
Si le film s’intitule Agnus Dei, c’est surtout en relation avec la notion de rédemption et d’absolution censées être apportées par l’agneau divin. Néanmoins, on s’apercevra qu’une jolie peluche figurant une agnelle a aussi ici toute son importance. De manière subtile et sensible, Lucia Cedron montre l’interaction du passé que la distance et le temps ne parviennent justement pas à faire passer. Des blessures à l’âme non cicatrisées se rouvrent au contact d’événements imprévus, à l’ironie cruelle. Agnus Dei est une première oeuvre à la mise en scène élégante, sachant instaurer une juste distance qui conjugue respect et pudeur. Et puis, un film où l’on qualifie le vin jaune jurassien d’émouvant ne peut pas être raté…
Patrick Braganti
Agnus Dei
Film argentin de Lucia Cedron
Genre : Drame
Durée : 1h30
Sortie : 7 Mai 2008
Avec Leonara Balcarce, Mercedes Moran, Jorge Marrale
La bande-annonce en VO :