Portrait de groupe en deuil, périphrase parfaite pour résumer Les Sept jours, deuxième film réalisé et scénarisé en commun par Ronit et Shlomi Elkabetz, après Prendre femme en 2003, premier volet d’une trilogie consacrée à l’exploration de la famille, ce continent complexe et accidenté aux dires mêmes de l’actrice de La Visite de la Fanfare. Après s’être concentrés sur la vie d’une femme en proie à la pression masculine de son entourage qui n’accepte pas qu’elle puisse quitter son mari, le frère réalisateur et la soeur comédienne ont élargi leur champ de vision en s’attachant à la période du deuil sur sept jours que doit suivre une famille juive israélienne.
Maurice vient de mourir et comme l’exige la tradition juive ses proches doivent se réunir dans sa maison afin de s’y recueillir et d’honorer sa mémoire pendant sept jours. Une semaine entière caractérisée par une cascade d’interdictions en tous genres et le respect scrupuleux de rites religieux. Interdictions donc de quitter la maison, de se désolidariser du groupe, pour les femmes de porter le moindre bijou ou un quelconque maquillage, de manger de la viande, de laisser les miroirs à l’air libre – ils doivent être recouverts – ou même d’écouter la radio ou de regarder la télévision. Avec une telle chape de plomb et les effets d’une promiscuité imposée, la cohabitation vire à l’affrontement qui laisse l’amertume, les rancoeurs et les querelles prendre le dessus sur le chagrin et l’entraide familiale.
Pas facile de rentrer dans ce film choral et écorché vif dont on a d’abord du mal à situer les nombreux protagonistes et les liens qui les unissent. Petit à petit, par indices fugitifs qui réclament attention et mémoire de la part du spectateur, les Elkabetz établissent la structure du clan composé de six frères et de deux soeurs. Et très vite resurgissent entre eux d’anciens litiges où l’argent est omniprésent. Il en devient même comme une sorte d’instrument de mesure, capable d’évaluer la vie et d’estimer la capacité émotionnelle de chacun. La faillite de l’usine d’un des frères provoque des tractations insidieuses qui dessinent une spirale ascendante de la contribution matérielle à l’affliction générale.
Ce huis clos dense et ravageur dans sa faculté à faire tomber les masques et mettre à nu la véritable nature de chacun a quelque chose du théâtre filmé par sa succession de longs plans fixes. Mais il développe aussi une mise en scène quasi chorégraphique articulée sur un assemblage de corps tantôt proches et bienveillants, tantôt en opposition, voire en affrontement physique. C’est ce positionnement des corps dans un espace confiné – des déplacements et des postures qui évoquent la danse et le ballet – qui singularise en définitive Les Sept jours, qui joue sur la montée progressive et inexorable de la tension jusqu’à une scène de dispute globale, catalysant toutes les trahisons et les jalousies qui entachent la famille.
Les Elkabetz situent leur deuxième film dans une période précise comme c’était déjà le cas pour Prendre femme. Nous sommes ici en 1991 et Israël est en guerre contre l’Irak de Saddam Hussein. Cette manière de circonscrire le récit à une courte période permet en fait pour les deux réalisateurs d’en dire davantage sur leurs personnages qu’à travers une histoire diluée sur plusieurs mois ou années. La guerre en toile de fond, c’est d’abord parce que le pays ne connait pas autre chose depuis soixante ans mais c’est ensuite le moyen de reconstruire une solidarité entre les membres de la famille lorsque les alertes retentissent dans l’affolement et la peur.
Les Sept jours confirme ainsi le talent des Elkabetz à produire un cinéma viscéral et charnel, qui flirte parfois avec l’outrance et la théâtralité. Il n’empêche : on suit avec un intérêt grandissant les déchirements et les mises au point de la famille Ohaion dont chaque membre reçoit de la part de Ronit et Shlomi un traitement équitable. Décidément, une semaine après Valse avec Bachir, le cinéma isréalien ne nous laisse pas de nous surprendre.
Patrick Braganti
Les Sept jours (Titre original : Shiva)
Film israélien de Ronit et Shlomi Elkabetz
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h48
Sortie : 2 Juillet 2008
Avec Ronit Elkabetz, Simon Abkarian, Moshe Ivgy, Yael Abecassis, Alon Aboutboul