Dernier opus libertaire du plus français des cinéastes coréens, à moins que ça ne soit l’inverse, Night and Day revendique haut et fort son attachement au patrimoine culturel français, et plus particulièrement l’héritage d’un cinéma rohmérien, quand il ne prend pas les traits de Doillon. Filmé simplement, sans réel parti pris si ce n’est celui de ne pas chercher la complication, Hong Sang-soo fait preuve d’un humour précieux et révolté, et d’une poésie qui prend ses racines dans la plus bête représentation du réel et de l’amertume qu’elle provoque. Il a beau filmer un homme qui pleure au téléphone ou des excréments de chien balayés par l’eau des égouts, il se dégage de l’image cette même contemplation de la simplicité. Ses contours deviennent presque bibliques tant la réalité est présentée dans toute sa formalité.
Dénué de scénario aux aventures trop pimentées, Night and Day se veut juste le reflet d’un cinéma intellectuel et sobre, jamais prétentieux, et modeste dans l’alignement qu’il fait des valeurs littéraires dominantes. Paris, ici, n’est pas le lieu du cliché, mais le lieu de l’actuel, le lieu du ‘vrai’ ; les rapports du personnage à la ville sont lucides, et la créativité fantaisiste du cinéaste, dont le chemin n’est jamais obstrué par de quelconques obligations cinématographiques, mêlant humour et tristesse, est enfin au coeur de son langage. Ces saynètes parisiennes qui composent le film, comme un journal intime qui ne serait pas tant intime que l’union de deux réalités opposables (la notre et celle du film), sont la preuve parfaite que ce dernier est un chant d’amour à la liberté artistique, dénué de contraintes (les grotesques zooms dans certains plans sont volontairement et audacieusement moches, mais ont pourtant pour but de prouver que tout cela n’est que du cinéma ; il ne s’agit pas d’un simple effet de marque), et une ode à la femme, dont on sent bien qu’elle domine, vulgaire ou noble, environ les trois quarts de l’écran. De toutes ces visions, le film prend un format compact et rectangulaire, mais ne s’enferme jamais dans ses propres limites (en particulier narratives) ; Hong Sang-soo transcende, encore et encore, jusqu’au tronc de l’oeuvre, les possibilités à la fois visuelles et schématiques.
Si la fin reste discutable (toutes ces aventures auraient pu se finir bien avant), l’aspect presque interminable du film, je veux dire l’impression que les jours se déroulent sans fin avec une forme de recommencement qui nous lie, donne au film la magie de ce que le cinéma n’a, concrètement, pas le pouvoir : la continuité après le mot fin. Night and Day en devient d’autant plus diamantin qu’il est rare. On dirait une empreinte qu’ont laissé les regards et les mots, comme si le cinéaste coréen avait voulu transcrire le passé des hommes dans leur présent, avec cette même honnêteté qui fait les grands artistes. Sa réflexion sur l’art justement porte le film au-delà même du simple jeu de l’amour et du hasard ; sa vision s’élargit sur la condition de l’homme, à la fois l’incommunicabilité entre deux sexes opposés et deux contrées différentes, mais aussi sur la création et l’apprentissage à autrui. Le confort qui apparaît de toute cette bonté, très représentative des valeurs asiatiques (paradoxe puisque l’on sent que le film veut une identité purement française), nous donne alors l’impression d’être chez nous, avec des gens que l’on aurait déjà croisés dans la rue, sans y prêter plus d’attention. Un film familial, en somme.
Jean-Baptiste Doulcet
Night and Day (Titre original : Bam gua Nat)
Film coréen de Hong Sang-soo
Genre : Comédie dramatique
Durée : 2h25
Sortie : 23 Juillet 2008
Avec Kim Young-Ho, Hwang Soo-Jeong, Park Eun-hye