Même s’il s’agit de deux films distincts, ils sont difficilement dissociables. D’abord, parce qu’ils ont été mis en scène par le même réalisateur : Wayne Wang, cinéaste d’origine hong-kongaise immigré aux Etats-Unis où il alterne productions hollywoodiennes et longs-métrages indépendants. Ensuite parce qu’ils s’articulent chacun autour d’une femme chinoise native de Pékin, toutes deux domiciliées en Amérique, représentantes de deux générations, deux cultures et deux langages.
Adepte du diptyque, ou plus exactement du film complémentaire, Wayne Wang, ainsi qu’il l’avait déjà fait pour Smoke et Brooklyn Boogie, a adjoint à Un millier d’années de bonnes prières un second opus intitulé La Princesse du Nebraska. Pour respecter l’ordre de réalisation, il est préférable de voir Un millier d’années…en premier. Certes celui-ci est nettement plus réussi car mieux maîtrisé et plus complet avec un scénario très préparé. Surtout il met en présence un duo de personnages forts et captivants : la fille Yilan et son père M.Shi venu rendre visite à cette dernière installée dans une petite ville et séparée de son mari. Yilan témoigne d’une certaine indépendance, d’un rejet de son histoire tant familiale que culturelle qu’elle perçoit comme un lourd fardeau renforcé par la présence d’un père questionneur, à la limite de l’envahissement, pourtant juste préoccupé du bien-être de sa fille. Ce premier volet tourné en longs plans-séquences, au rythme lent, voire lénifiant, réfléchit aussi à la notion de déracinement : le père se lie avec une vieille femme iranienne sans pour autant partager beaucoup de mots et le nouvel ami de Yilan est russe. Un éloignement volontaire des racines qui passe pour Yilan par l’appropriation d’une nouvelle langue dans laquelle elle se sent plus apte à exprimer ses sentiments, alors que sa langue maternelle, le mandarin, l’en empêche. Infiniment pudique, dissimulant des douleurs enfouies, Un millier d’années de bonnes prières – titre en soi magnifique – cale sa mise en scène rigide et corsetée toute en nuances hivernales sur l’incommunicabilité sourde mais réelle qui s’est installée entre le père et sa fille.
La Princesse du Nebraska, c’est Sasha, jeune femme – elle a sans doute une quinzaine d’années de moins que Yilan – installée elle aussi aux Etats-Unis pour y suivre ses études, enceinte de quatre mois suite à des vacances passées en Chine. Elle retrouve à San Francisco, où elle s’est décidée à venir pour avorter, Boshen, l’ex-amant de son petit ami pékinois, un jeune danseur, qui tente de la convaincre de garder le bébé. A l’opposé de Yilan, Sasha ne porte aucun poids, aucune histoire et ne s’entrave d’aucune morale, encore moins d’une quelconque croyance. Malgré son jeune âge, elle semble déjà blasée et détachée des événements qui bousculent sa vie. Versatile et libre, elle n’existe qu’à travers le prisme de son téléphone portable, servant à la fois de caméra et de messagerie, abolissant du coup les frontières et les distances. Par rapport à Yilan, elle a franchi une étape supplémentaire : devenue une citoyenne du monde, elle met en scène sa propre vie. Sa langue à elle est tournée vers les nouvelles technologies, des SMS aux appareils numériques. Dans La Princesse de Nebraska, le spectateur n’a plus guère loisir de souffler : caméra toujours mobile pour des plans qui sentent l’improvisation et la prise directe.
Qu’il filme l’émotion du silence ou l’agitation des rues, l’impact des traditions ou l’explosion des frontières qui nient celles-ci, Wayne Wang, en citoyen assimilé des Etats-Unis, terre d’immigration et de métissage, suggère aussi que la communication peut très bien s’opérer sans partager le même langage. Au final, deux films en effet dissemblables, proposant chacun une forme idoine à leur sujet.
Patrick Braganti
Un millier d’années de bonnes prières – La Princesse du Nebraska
Films américains de Wayne Wang
Genre : Drames
Durées : 1h25 et 1h20
Sortie : 30 Juillet 2008
Avec Henry O, Faye Yu, Ling Li, Pamelyn Chee