Pourquoi convoquer le western de Sergio Leone pour relater les fantasmes et les coucheries de trois copains entre deux âges? Telle est pourtant la gageure de Beau Bandit, le second tome de Gus, la série western spaghetti de Christophe Blain.
D.’aucun pourrait reprocher à l’auteur d' »Isaac le Pirate » la systématicité d’un parti pris narratif récurrent dans ses productions individuelles: comme Isaac, Gus, Clem et Gratt, les antihéros de »Beau Bandit » sont des jeunes gens qui ont du mal à quitter leur jeunesse et dont on découvre les doutes à travers le filtre d’un cadre historique fortement référencé. La piraterie pour Isaac, le western spaghetti pour Gus et ses comparses.
Mais tel est précisément l’enjeu de la subversion de Blain : se couler dans le cadre d’univers imaginaires tout faits pour livrer en toute sincérité ses doutes, ses interrogations et ses fantasmes, en échappant à la pesanteur de l’autofiction et de l’introspection narrative, genres qui en bande dessinée évitent difficilement l’écueil de l’impudeur et du voyeurisme.
Et c’est bien cette sincérité pudique qui est aussi le ressort de la réussite graphique incontestable de Beau Bandit. Le mérite du dessin de Blain est de refuser toute systématicité artificielle, alors même que l’essentiel des parutions de la » nouvelle bande dessinée » s’essouffle dans le balbutiement mimétique des codes inventés par Trondheim, Sfar et Larcenet.
Plutôt que de s’appuyer sur sa propre virtuosité, dont Isaac le Pirate semblait un aboutissement, Blain choisit un univers imaginaire surdéterminé pour se contraindre à retrouver, par-delà les lieux communs, une cohérence graphique qui lui est propre, dans une démarche proche de celle de Dumontheuil. Comme chez Morris, les personnages ont des gros nez ou des carottes dans les cheveux, et le cadrage est souvent directement emprunté au cinéma. Mais ces lieux communs ne sont pour Blain que l’occasion de faire entendre sa voix très personnelle et de déployer son formidable sens de la narration dessinée.
Le défi de Beau Bandit est donc brillamment relevé : Blain a su trouver une cohérence graphique et narrative à l’intérieur même de la subversion du western tel qu’on le connaît trop bien au cinéma et en bande dessinée, sans tomber dans la caricature pour enfant de type »Lucky Luke » et sans perdre en route l’intérêt de son lecteur, comme c’est parfois le cas chez Dumontheuil. Cette cohérence si séduisante, c’est finalement celle d’une insouciance fantasmée qu’incarnent parfaitement Gus, Clem et Gratt.
Vincent Jung
Gus tome 2 – Beau Bandit
scénario & dessin: Christophe Blain
Éditeur: Dargaud
88 pages – 14€¬
Parution : Janvier 2008