L’histoire s’ouvre sur un enterrement : Charles Stern, l’oncle voyou et riche comme Crésus, vient de rendre l’âme au volant d’une voiture de sports qu’il s’apprêtait à acheter. Son frère, Alexandre, n’est pas du tout affligé par cette perte, fâché depuis toujours avec ce personnage qui ne lui ressemblait en rien et qui avait eu l’outrecuidance de l’envoyer paître alors que les affaires familiales étaient au plus mal.
Bref, ça commence sur une cérémonie burlesque de crémation qui tombe en panne, un cercueil bloqué entre les flammes de l’enfer et les derniers paradis terrestres. Paul, le narrateur, raconte cette anecdote avec une pointe d’ironie et de constat navrant. Mais ce n’est pas un chapitre sur lequel on peut discuter avec le père, Alexandre a déjà repris le cours de sa petite vie toulousaine… Cependant, quelque chose cloche chez lui car les mois passant font de ce frère endeuillé un homme neuf et différent. Lui qui pestait contre les millions amassés sans vergogne par Charles ne fait pas la fine bouche en empochant l’héritage. Veuf, livré à lui-même, il tombe dans les bras de l’ancienne petite copine du mort, une dénommée John-Johnny, qu’il compte épouser au cours de l’été.
Paul tombe des nues. Exilé à Hollywood pour son job de scénariste, il suit de loin les péripéties paternelles avec un oeil circonspect. De même, il se fait du souci pour sa femme, Anna. Tombée en grave dépression, elle n’a plus goût à rien et a choisi d’entrer dans une maison de repos. Cette séparation ébranle son entourage, d’autant plus que le médecin préconise une coupure nette avec l’extérieur.
Dans sa maison qui empeste la volaille, Paul renâcle sur son scénario bidon et participe à des soirées mondaines où il croise la jet-set décatie (Nick Nolte ou Nicholson). L’homme est las de son boulot, il sent qu’il piétine et que le film ne se fera peut-être pas. Dans les studios de la Paramount, une rencontre inattendue va – l’espère-t-il – lui redonner le zeste de légèreté qui lui manque de plus en plus. Une certaine Selma Chantz lui apparaît comme le double de son épouse Anna, avant ses trente ans. Perdu dans l’illusion de cette rencontre, Paul ne sait pas ce qu’il veut mais il sent que cette fille l’attire et peut lui donner ce qu’il cherche.
Dans la famille Stern, on parle des accommodements raisonnables comme on parle des compromis, des faux-semblants, du cache-misère pour petites et grandes désolations. Une année s’écoule, assez singulière et harassante, durant laquelle les uns après les autres vont fuir, « pareils à des animaux qui détalent devant un incendie ».
« Mon père avait basculé le premier, Anna ensuite, et moi enfin. Nous étions partis chacun dans des directions lointaines ou opposées, aveuglés par diverses formes de nos vies. L’origine de cette étrange épidémie rôdait quelque part en nous-mêmes. Les accommodements raisonnables que nous avions tacitement conclus nous mettaient pour un temps à l’abri d’un nouveau séisme, mais le mal était toujours là , tapi en chacun de nous, derrière chaque porte, prêt à resurgir »
Jean-Paul Dubois s’entoure de ses ingrédients familiers pour nous servir un plat goûteux, légèrement pimenté et relevé en sauce. En gros, c’est un roman plein d’humour grinçant, qui dénonce les travers de nos sociétés (française et américaine), la grosse machine hollywoodienne qui n’éblouit plus personne et ne nourrit pas forcément son homme. C’est aussi une saga familiale désopilante, des anti-héros par excellence qui se torturent et se tapent la tête contre le mur, presque par plaisir. On y trouve aussi les flèches cassantes et les piques qui visent la politique actuelle. Et surtout, l’amateur des écrits de Dubois savourera de cocher les thèmes récurrents, évoqués en clin d’oeil (les tondeuses, les voitures de collection, la pêche, le vélo, l’avion…).
C’est du bon Dubois, celui des jours placides, qui remplit les grandes lignes de son contrat. Cela se lit avec aisance, c’est dérisoire et pathétique à souhait, ce sont 260 pages d’un souffle romanesque qu’on n’aime lire que chez lui, et pas chez un autre ! (Parce que, dans le fond, c’est un tantinet déprimant…)
Stéphanie Verlingue