Adorateur d’expérimentations et de surréalisme, d’onirisme teinté de cruauté et d’érotisme, Guy Maddin inscrit son nouveau film dans la continuité de son langage, un morceau du squelette à reconstituer. Des trous dans la tête est une invitation au voyage à travers les temps et les hommes. Il s’agit d’une biographie fantasmée, improbable, dans laquelle dialoguent de petits fragments de non-sens mais qui, au final, deviennent d’une cohérence remarquable. L’abstraction de la manière embrasse l’ancestral du geste, le film confond deux temps avec une nostalgie que certaines images font resplendir en une milliseconde.
Il faut tout d’abord rentrer dans ce monde à part, chez ce sur-Lynch loufoque et parfois malsain, se laisser entraîner dans la pyramide de ces souvenirs d’un temps inconnu. Il faut se laisser happer, se laisser hypnotiser par la magie sans fin d’un cinéma qui allie le plus contemporain au plus préhistorique, qui fusionne images heurtées, accidentées entre elles, avec un développement simple, presque mythologique, d’un homme hanté par les fantômes du passé qu’il se remémore par chapitres. Le silence peut laisser place aux cris les plus stridents, la joie folle à la mélancolie la plus végétale, et Maddin, simplement fou amoureux d’un art qu’il préfère pénétrer que maîtriser, fait ressortir l’amour qu’il y a en lui. Sa sensibilité à fleur de peau et d’esprit et sa bizarrerie avouée sont au centre d’une oeuvre que l’on croit éphémère mais qui, pourtant, reste gravée dans le temps. Comme une collision de bobines et de charmes, son cinéma se recentre dans une excentricité constamment suivie par une émotion qui jaillit comme de petits geysers sortis du fond de lui-même.
Son cinéma a l’hystérie magnifique, le sourire au coin des lèvres et des images, la mort qui rôde à l’angle d’une pièce, la nudité parfaite mêlée à la nature d’une île métaphorique, l’érotisme primaire du corps magnifié par le regard qu’on y porte, il a la passion ardente, les larmes fragiles, l’existence chavirée dans l’antre du questionnement existentiel. Qui sommes-nous? Et qui sont-ils? Eux, les disparus, les tant aimés, les êtres qu’on a chéris, nettoyés, ceux auxquels on a obéi, menti, pardonné? Ceux qui nous emplissent de haine comme d’amour? Guy Maddin explore l’âme, le cerveau, le souvenir, il fragmente mille idées, mille ressentis, mille rappels. Il condense, en route vers l’abstraction, le rêve et l’amour, le souvenir et la mort. Son film se fait alors la mémoire des disparus, enterrés à jamais dans cette (sub)conscience filmée, dans ce désarroi lumineux et macabre. Il est fort et déchirant car il rend un lieu commun – le cerveau humain – familier, il le parsème de moments que nous avons tous vécus. Il les amplifie, se promène sur une barque, se noie, rit, pleure, se morfond avec et repeint le phare de son enfance de deux couches de peinture, celle du conscient et celle du subconscient, et trahit sa parole en terminant sur une troisième couche ; il n’y a plus de rêves ni de réminiscences, et enfin les morts et les vivants peuvent cohabiter ensemble. Sur une même île, ils finissent par ne faire plus qu’un.
Expérience hors-normes, transgression même du cinéma, Des trous dans la tête est un objet à part, qui brille de mille trésors de bonté. Hypnotique mais facilement déroutant, ce cinéma profane devient le miroir obscur de nos retranchements et de nos douleurs. Guy Maddin, l’artiste aux frontières inconnues, y insuffle la vie et la beauté de l’amour. Ou la mort et la laideur de la prison humaine.
Jean-Baptiste Doulcet
Des trous dans la tête
Film américain, canadien de Guy Maddin
Genre : Drame
Durée : 1h35
Sortie : 24 Septembre 2008
Avec Isabella Rossellini, Gretchen Krich, Sullivan Brown
La bande-annonce :