Rien ne manque : les chevaux, les larges chapeaux et les bottes à éperons, le saloon et l’unique voie de chemin de fer avec son antédiluvien train à vapeur. Oui, dans Appaloosa, qui marque le retour d’Ed Harris derrière la caméra cinq après Pollock, biopic sans prétention du peintre new-yorkais, tous les codes du western légendaire sont convoqués. Pourtant, Appaloosa sans forfanterie et en restant de facture classique parvient à se les approprier pour livrer un film personnel duquel l’ironie et la distance ne sont jamais absents.
A Appaloosa, petite ville minière du Nouveau-Mexique vers 1880, Randall Bragg règne en despote, appliquant ses propres lois qui l’amènent sans états d’âme à tuer un shérif et ses deux adjoints venus arrêter deux hors-la-loi. Les édiles de la ville font alors appel à Virgil Cole et Everett Hitch, un shérif et son second, réputés pour leur gâchette et leur intégrité à ramener la paix et la justice là où elles ont été bafouées. Le danger va néanmoins surgir de là où Cole et Hitch ne l’imaginaient sans doute pas : en la personne de Alison French, jeune veuve volage et versatile, accordant ses faveurs au » mâle dominant« .
Et des mâles dominants, Appaloosa en regorge : Cole bien sûr dont la vie amoureuse se résume jusqu’alors à la fréquentation de putains et de squaws, Hitch, l’adjoint taciturne et observateur amusé des agissements de son boss, le bandit Bragg sans compter l’arrivée des deux frères Shelton.
L’histoire connaît ainsi bien des rebondissements mais ceux-ci ne constituent pas le principal attrait de ce western psychologique. Si les coups de fusils rythment d’aventure l’action, c’est toujours de manière expéditive sans que Ed Harris s’y attarde trop ni en profite pour composer des scènes mille fois vues ailleurs. Ce qui est ici autrement plus captivant et original, c’est la caractérisation inhabituelle des personnages. Entre Cole et Hitch, s’est tissée une relation filiale où se mêlent respect et attention, sans que l’aîné paraisse dominer son subalterne, pour preuve son habitude à lui demander le mot qui lui fait souvent défaut. Une relation ponctuée de conversations semi-philosophiques où l’amour et l’amitié sont abordés sans cesse. De l’autre côté, Bragg n’est pas une crapule ordinaire : lettré, éloquent, élégant, l’homme est aussi séducteur et manipulateur. Enfin, le personnage féminin dynamite les usages de la femme soumise – voire inexistante – telle que les westerns ont souvent dépeint sa condition. Au contraire, Alison French est directement associée à l’enchaînement des événements et se révèle assez immorale et opportuniste dans sa recherche de » protection ».
Appaloosa nous fait souvent sourire de situations inattendues, surtout celles qui naissent entre les deux redresseurs de torts. Il faut aussi souligner l’extrême classe du film, qui se niche aussi bien dans les costumes des héros, la lumière et les paysages que dans la personnalité des héros. Les trois acteurs au regard clair : Jeremy Irons, Ed Harris et l’impeccable Viggo Montersen n’y sont certes pas étrangers. Leur plaisir à jouer et à être ensemble irradie et se communique du coup au spectateur. Ed Harris prouve de belle manière que le western demeure un genre noble du cinéma, tout en lui insufflant un vrai zeste de modernité et d’épaisseur, faisant de Appaloosa un pur délice.
Patrick Braganti
Appaloosa
Film américain de Ed Harris
Genre : Western
Durée : 1h55
Sortie : 1er Octobre 2008
Avec Ed Harris, Viggo Montersen, Jeremy Irons, Renée Zellwegger
La bande-annonce :