Un gamin marche en équilibre sur la bordure qui longe la route, au loin les grues du port et la mer. Il se rapproche de plus en plus de la caméra qui opère un large mouvement pour embrasser en contrebas l’endroit où ses pas le mènent : un camp gitan composé de quelques constructions en dur, envahi par les caravanes et les carcasses de voitures rouillées. Même si Karim Dridi, le réalisateur de Pigalle et de Bye-Bye signe une fiction, le décor qu’il investit existe bel et bien : nous sommes à Marseille, dans le bidonville de la cité Mirabeau, une poubelle à ciel ouvert, sous un échangeur d’autoroute.
Quand on fait la connaissance de Marco, à peine onze ans, il vient de s’échapper de son foyer de la DDASS pour revenir au quartier de son enfance. Livré à lui-même – sa mère est morte et son père s’intéresse peu à son sort – Marco retrouve ses cousins et copains avec qui il fait les quatre cents coups. Vols à la tire, cambriolages, élevage et combats de coqs ainsi que commerce de pitbulls, tout est bon pour récupérer de l’argent et satisfaire ses propres envies. Seul son cousin Tony accepte de l’héberger. Sa belle-mère, dont il a incendié la caravane et failli provoquer la mort †˜un des enfants, le chasse et sa grand-mère est en train de mourir sur son lit.
A priori rien de bien réjouissant, pourtant Karim Dridi réalise un film d’où sont bannis le moindre apitoiement, la moindre tentation misérabiliste. Ce qui détonne ici, c’est l’énergie de cette bande de gamins, sans cesse en mouvement, semblant inventer leur existence jour après jour. Une existence qui ne peut se justifier et durer qu’à condition de se battre, courir, échapper aussi bien aux représentants des services sociaux (dans une scène tordante) qu’aux bandes rivales – essentiellement maghrébines dans un métissage explosif de cultures. Où les combines et les petites trahisons sont aussi fréquentes. Indépendant et déjà mature, persévérant et téméraire, Marco est un garçon aux visages multiples : regard dur, réactions violentes quand il estime devoir réclamer son dû, il n’en reste pas moins un enfant avec ses rires, ses jeux et sa recherche d’une protection adulte, que ni son père ni sa tante acceptent de lui offrir.
En choisissant le scope, Karim Dridi donne à ses personnages et à la ville où ils évoluent la juste dimension. Khamsa – qui signifie cinq en arabe comme en hébreu – est un film solaire, intelligent et digne, baigné par la lumière de la Méditerranée. Avec leur tchatche colorée et sans pause, ces gosses expriment leur rage de vivre et de s’en sortir. Tout en affrontant ses propres peurs – il grimpe au sommet d’une grue pour se jeter dans la mer devant ses copains impressionnés – Marco grandit et perçoit déjà la folie inéluctable du système qui l’enferme. D’ailleurs, plutôt que voler, il préfèrerait devenir boulanger.
Bien loin de l’imaginaire folklorique véhiculé par les films d’Emir Kusturica ou Tony Gatlif, Khamsa s’emploie à aborder cette communauté avec empathie et respect. Chantre du mélange des cultures, attaché aux sans-grade en marge, Karim Dridi, après un passage à vide de plus de dix années, renoue pour notre plus grand plaisir avec un cinéma populaire et salutaire.
Patrick Braganti
Khamsa
Film français de Karim Dridi
Genre : Drame
Durée : 1h48
Sortie : 8 Octobre 2008
Avec Marco Cortes, Simon Abkarian, Raymond Adam
La bande-annonce :
Une bien belle critique, juste et élégamment écrite, qui décrit au mot près ce que j’ai pu ressentir tout au long du film.
Une bien belle critique, juste et élégamment écrite, qui décrit au mot près ce que j’ai pu ressentir tout au long du film.