Avec La vie moderne, Raymond Depardon clôt sa trilogie sur la paysannerie de moyenne montagne : Cévennes, Haute-Loire, Ardèche et Haute-Saône. Elle avait débuté par deux premiers opus intitulés Profils paysans, respectivement sortis en 2001 et 2005, L’approche et Le Quotidien. On retrouve ici les mêmes protagonistes dont au fil des ans le réalisateur de La Captive du désert est devenu un ami, un confident, n’hésitant plus à débarquer à l’improviste pour des entretiens approfondis où les silences et la gestuelle des corps en disent souvent plus long que la rareté des paroles.
Si les deux volets initiaux étaient destinés au petit écran, mais ont néanmoins connu une sortie en salles, La vie moderne, selon la volonté du cinéaste et de sa compagne Claudine Nougaret, responsable du son et de la production, a bénéficié d’un financement et de moyens techniques, ici un tournage en 35mm, réservés aux oeuvres cinématographiques. Et du cinéma, il en est évidemment question dans La vie moderne. Bien sûr, et c’est le plus flagrant, à travers les longs travellings, sur une musique de Gabriel Fauré, qui précédent chaque arrivée à la ferme, grâce à une caméra installée sur le capot de la voiture, balayant la route sinueuse et désertique, entourée de paysages splendides et sauvages, été comme hiver. Souvent, les fermes retranchées et isolées sont au bout de ces chemins et Depardon semble toujours arrêter son véhicule à la bonne distance. Une distance qui est aussi proximité, mais pas envahissement, lors des longs échanges entre les paysans et lui-même. Pour ceux-ci, le photographe met en place un autre dispositif : une caméra fixe filmant autour d’une table de cuisine – la seule pièce investie – les interviewés.
La vie moderne est fait de blocs : une arrivée et un entretien. Mis à part chez les frères Raymond et Marcel Privat dans les Cévennes ou chez Marcel et Germaine Chalaye en Ardèche, Depardon ne revient pas sur ses pas. Il y a, par exemple, une unique rencontre avec Paul Argaud, un paysan solitaire et taiseux de Haute-Loire, la gitane maîs rivée entre les lèvres, la tignasse semblable à celle d’un apache, le verbe rare et difficile. Une caractéristique commune à l’ensemble des vieux paysans visités. D’ailleurs, on constate que la nouvelle génération – locale ou expatriée – manie déjà le langage avec plus de facilité et d’esprit analytique, constat d’autant plus évident chez les femmes dont le rôle paraît toujours secondaire – mais pourtant déterminant – chez les anciens. Pour preuve, la pétulance et l’intelligence vive qui émanent des yeux de Germaine Chalaye.
Ce troisième volet est le plus personnel, celui dans lequel le réalisateur s’est le plus investi : il apparaît parfois à l’écran, mais sa parole est surtout omniprésente dans le flux des questions posées d’une voix également douce et amicale. Sur les longs chemins, sa voix off égrène un discours à la première personne. Fils de paysans, Raymond Depardon a très tôt éprouvé une certaine honte de ses origines et de sa condition, préférant à la perspective de reprendre la ferme parentale dans le Rhône l’exil vers Paris et une carrière artistique : photographie, cinéma et livres. Ce qui donne à La vie moderne un statut tout à fait particulier : le film complète brillamment un triptyque qui vaudra témoignage d’une époque dans le futur, mais il est aussi une quête de soi pour son réalisateur : un retour aux racines, une acceptation de là d’où il vient.
Pourtant, La vie moderne va encore plus loin dans ce qu’il renvoie chaque spectateur à ses propres interrogations sur son existence et sur sa disparition. Car la mort est sans cesse présente dans le film : celle d’une activité, d’animaux d’élevage, véritable crève-coeur pour les hommes qui s’en sont occupés. Mais surtout celle que ces vieux paysans sentent approcher : les plans sur Marcel Privat, si usé qu’il doit renoncer à mener son troupeau de moutons aux prés deux fois par jour, sont empreints d’une force et d’une émotion qui ravagent le coeur. Dans leur authenticité, leur vie sobre et rude qui nie la société de consommation et l’artifice, ces hommes et femmes exceptionnels incarnent en effet à leur manière une certaine idée de la modernité.
Raymond Depardon leur rend ici un superbe et digne hommage qui évite tout pittoresque et tout lieu commun. Et quand il repart – cette fois la caméra est à l’arrière de la voiture – laissant en haut du col Raymond Privat comme une vigie séculaire, il y a comme une tristesse qui nous envahit soudain. Celle de quitter des gens, un monde, une idée de la vie, qui nous sont désormais proches, qui nous habitent.
Patrick Braganti
La vie moderne
Film français de Raymond Depardon
Genre : Documentaire
Durée : 1h30
Sortie : 29 Octobre 2008
La bande-annonce :
Ce film est superbe et soutenuè qui le sublime. Quelqu’un peut-il me donner les détails de cet enregistrement pour que je puisse acheter le CD.
Merci