« Paris, années Sida » annonce le bandeau publicitaire entourant le premier roman de ce jeune Toulousain de 25 ans. Un peu mensonger : les années Sida existent toujours, alors que le roman se concentre surtout sur l’émergence du virus dans les années 80. Et certes, le microcosme parisien est le décor quasi-unique du livre, mais le thème est malheureusement universel…
Tristan Garcia, enfant des années 90, natif du Sud de la France et hétérosexuel, s’attaque à un sujet dont il semble en fait éloigné : le Sida et les combats politiques, idéologiques et sociaux qu’ont engendré ce virus mortel, tant dans la communauté homosexuelle que dans les pratiques sociales et comportementales des hommes sur près de trois décennies. Vaste sujet, pourtant concentré sur une seule personne, Liz, journaliste à Libération, qui narre son existence de jeune femme moderne et indépendante au milieu des trois hommes qui ont compté dans sa vie : Dominique Rossi, son collègue, devenu dans les années 90 le porte-parole d’associations qui militent pour le port du préservatif et la responsabilité de chacun pour lutter contre cette maladie terrible ; Jean-Michel Leibowitz, son amant, intellectuel obscur qui fait de ce combat sanitaire un enjeu politique ambitieux et polémique ; et enfin William Miller, son meilleur ami, »folle » excentrique et caractérielle, qui deviendra un symbole d’une frange de la communauté gay adepte du »barebacking » (sexe sans protection). Entre eux, de longues amitiés, des histoires de cul, des déchirements et des réconciliations, des liens et des suspensions, tout ce qui fait les rapports humains sur près de trente années, avec en toile de fond les évolutions économiques, sociales et culturelles de la France de l’époque.
L’angle d’attaque de Garcia sur ce vaste chantier est le point le plus réussi : le roman est porté par la seule voix et donc le seul jugement de Liz, femme aimante ou à l’écoute, puis bafouée et laissée sur le bas-côté de leur route commune, jusqu’au final où l’on se réconcile avec amertume. Elle est la véritable héroîne, presque tragique, de ce foisonnant roman de situations, dialogues incessants, et chassés-croisés nombreux. Ce n’est qu’autour d’elle que gravitent finalement les trois hommes, qui s’aiment, baisent et se déchirent, se détruisent même pour Dominique et William, jeunes amants qui vont s’entretuer mentalement à cause de leurs divergences de pensée, d’autres qui vont savoir évoluer, prendre des décisions plus ou moins sages, oser et se libérer, ou au contraire, déprimer jusqu’à n’être plus qu’un reste d’eux.
Tristan Garcia ose un roman fort, parfois très documentaire (à personnages fictifs, forte ressemblance à des leaders des mouvements intellectuels et gays de l’époque), mais le recouvre parfois d’une couche intellectuelle un peu présomptueuse et, il faut l’avouer, assez ennuyeuse pour qui ne, maîtrise pas le sujet jusqu’au bout des ongles. Dès lors, l’ouvrage bascule dans le stéréotype du roman français contemporain, assez élitiste et chargé, alors qu’il aurait pu rester une magnifique saga sur les désirs et les réalités d’une époque, le destin amer et désespéré de personnages parfaitement ancrés dans une réalité de terrain qui peu à peu leur échappe, bref un roman typé américain dont on ressort souvent bouleversé.
Ici, trop de distanciation, d’explication, de froideur dans ces personnages qu’il nous est difficile d’aimer – est-ce dû au fait, que ce n’est absolument pas autobiographique, comme je l’expliquais au début ?, ; et donc forcément dommage car cette meilleure part des hommes s’avère dans l’ensemble passionnante et maîtrisée (notamment sur sa conclusion, émouvante), grâce à un auteur qui débute et qui fera sûrement à nouveau parler de lui.
Jean-François Lahorgue
La Meilleure part des hommes, de Tristan Garcia
Editions Gallimard, 305 pages, 18 €¬ environ
Date de parution : août 2008