Quiconque a un jour été victime du ravissement que procure une prestation live de la petite clique Why?, remet inévitablement le couvert à la moindre opportunité. Leur halte par la case Cabaret Electric ne pouvait donc qu’aiguillonner le spectateur ébaubi que j’étais à l’issue de leur concert malouin en 2006.
Alors histoire de faire languir et trépigner d’impatience un public que l’on imagine acquis, le Cabaret a convié les autochtones Bamboo for Chopsticks à faire office de préambule à Son Lux, compagnon de route et de label de la bande à Yoni Wolf.
Les premières parties étant souvent prétextes à découvertes, belles comme anodines à part égales ; celles proposées ce soir ne viendront pas défier les lois inébranlables des statistiques.
A classer dans la seconde catégorie, Bamboo for Chopsticks distille une musique qui, en dépit de quelques passages orageux et rares incursions électro trop vite avortées, pêche par un manque de singularité qui me laisse indolent et étranger, m’incitant à jouer la carte de l’absentéisme auditif et à faire acte de présence à proximité du bar.
Bien que faisant son apparition en solitaire, le new-yorkais Son Lux s’avère d’emblée plus attractif et séduisant en ouvrant son set par une pièce onirique ourlée de notes cristallines et arachnéennes s’amoncelant en vastes strates. Afin de pallier l’aspect statique inhérent au seul usage d’un laptop et d’un clavier maître, Ryan Lott, tête pensante et étonnamment juvénile de Son Lux accueille très vite un batteur fou au jeu preste et ardent, dont la fougue constitue presque un show ) part entière. A tel point d’ailleurs qu’il est légitime et raisonné de se demander si ce batteur n’aura pas partiellement et temporairement détourné l’attention de certains de l’épicentre. Malgré tout, la paire semble globalement communier et ravir son auditoire à coup d’abstract hip-hop où les beats sérieusement concassés forment un joli contraste avec la douceur méditatitve qui émane des samples orchestraux (piano et cordes mêlés). En définitive, quoique un poil contrariée par la gestuelle maniérée et théatrale du jeune homme, ainsi que la récurrence de sentences insistantes (« Don’t be afraid » en veux-tu, en voilà !), la prestation de Son Lux est à inscrire au compte des bonnes surprises.
Après s’être fait longuement désirer, le trio devenu quatuor pour l’occasion investit les lieux avec la coolitude et la nonchalance qui les caractérisent, eux et leur musique. Emergeant tout juste d’un demi-sommeil, le chef de file Yoni ne dissimule pas son attitude blasée et désabusée, et diffère en cela de ses trois compagnons, autrement plus souriants et avenants.
Piochant alternativement dans »Alopecia » et »Elephant eyelash » Why? enthousiasme et épate par l’immédiateté de ses constructions qui n’ont pourtant rien de convenu. Servie par le flow négligé mais parfaitement calé de Yoni qui manie épisodiquement toms et clavier de poche, le jeu percussif du marionnettiste et funambule Josiah qui jongle allègrement et dextrement entre fûts et vibraphone, l’érudition harmonique du clavier et contre-chanteur Doug, la machinerie est aussi bancale, débridée, joviale et décalée, qu’elle est huilée, obscure et torturée jusqu’aux moignons. Seul bémol au réjouissant tableau : la mauvaise volonté affichée et tenace de Yoni à l’issue d’un second rappel qui se soldera par une reprise improvisée et un brin foutiste de la fratrie Wolf.
Toujours est-il que ceux qui ont vu en Why? la réincarnation hybride et foldingue de Pavement, Beach boys et Beck sont des gens clairvoyants. Et que ceux qui ont eu la riche et ingénieuse idée de les programmer reçoivent mes remerciements.
Sébastien Radiguet
photos : Tibans