Dans son film précédent John John, le philippin Brillante Mendoza se révélait un virtuose du plan-séquence et de la caméra portée au milieu des bidonvilles de Manille, mettant en scène une histoire déchirante sur une seule journée. Quelques mois plus tard, son nouvel opus, d’emblée plus léger mais non dénué de dimension politique et sociale, réemploie les mêmes procédés – nous introduire au sein d’un labyrinthe – et investit une temporalité identique.
Serbis prend place à Angeles au coeur du cinéma Family, immense bâtiment décrépi, projetant des films érotiques des années 70. Un lieu fort bien nommé puisqu’il est exploité par une famille nombreuse dirigée par la grand-mère qui, outre les difficultés liées à son activité, est également en procès contre son mari parti avec une autre. Elle est ainsi à la tête d’une véritable tribu : ses propres enfants, mais aussi apparemment d’autres membres dont il n’est pas aisé de démêler les liens qui les unissent. Si, de surcroît, on ajoute qu’il n’y a pas à proprement parler de trame, hormis une prise de pouls d’une société au travers d’une petite entreprise, on risque de rebuter un éventuel spectateur curieux.
Comme tous les films dignes de ce nom qui enrichissent au fil du temps notre mémoire cinéphile, Serbis vaut d’abord par la manière dont il montre la vie trépidante de l’établissement qui, de fait, en est un personnage à part entière que le cinéaste nous dévoile par fragments. Une fragmentation qui opère, à son tour, pour la découverte des protagonistes et leurs (pré)occupations. C’est donc dans les volées d’escaliers, le hall d’entrée, la cabine de projection, une autre servant à peindre les affiches dessinées et colorées et la salle de cinéma elle-même que la caméra de Brillante Mendoza se faufile, suit, précède ou enveloppe tout ce petit monde en un perpétuel mouvement. Non pas celui d’une agitation vaine et artificielle, mais plus simplement celui de la vie, qui ne cesse de palpiter, à l’image de l’écoulement de divers liquides et fluides qui ressort à l’évidence comme une des caractéristiques de Serbis. Du pus suintant d’un impressionnant furoncle sur la fesse d’Alan au sperme qui jaillit aussi bien sur l’écran du Family que dans ses travées et coursives, en passant par l’inondation des toilettes bouchées et la transpiration luisant sur le corps des acteurs. Ce qui, dans cette proximité des corps et cette activité sexuelle, hétéro comme homo, – le cinéma devenu petit à petit bordel et territoire de chasse des prostitué(e)s – confère du coup au film une indéniable sensualité.
Léger et drôle – la scène de l’intrusion de la chèvre semant la zizanie dans le commerce des corps – Serbis met aussi en scène la dissolution, la décomposition d’une famille, minée par des problèmes matériels et relationnels. Les quelques séquences à l’extérieur du cinéma – que l’on peut aussi appréhender comme un microcosme représentatif de la société philippine, matriarcale par essence – permettent de nous rendre compte qu’à l’extérieur, ce n’est guère mieux. Un monde extérieur à la marge mais toujours présent par les bruits incessants de la rue qui envahissent et saturent l’intérieur.
Le plus beau et paradoxal compliment à adresser à Serbis, c’est la déception qu’il suscite à le voir prendre fin. On n’a absolument pas vu le temps passer, pris dans ce tourbillon de vie et de pulsions, qui finissent par se transmettre au spectateur ravi et qui font de Serbis un spectacle cru, organique et jouissif.
Patrick Braganti
Serbis (Service)
Film philippin de Brillante Mendoza
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h33
Sortie : 12 Novembre 2008
Avec Gina Pareno, Jaclyn Jose, Julio Diaz
La bande-annonce :