De prime abord quelque peu réticent à l’idée de rejoindre l’imposant volcan havrais, la soirée proposée par le Cabaret Electric aura eu raison de mon humeur momentanément frileuse et dubitative. Cette dernière sera dans un premier temps estompée par la prestation énergique et fiévreuse des autochtones de Tokyo / Overtones, puis définitivement annihilée par celle plus dansante des métro-funky Fujiya & Miyagi.
Et manifestement, d’autres que moi auront à juste titre laissé toute réserve dans le bas-côté. Est-ce imputable à l’invasion massive du fan-club local des Tokyo/Overtones, à une envie irrépressible de se délecter et frétiller au son des gars de Brighton, ou mieux à la concomitance des deux ? Toujours est-il que l’affiche de ce soir aura rameuté un joli parterre de spectateurs.
Comme leurs épigones sur scène, les Tokyo/Overtones n’ont de nippon que le nom. Venus exposer à un public majoritairement familier du quintet les fruits de leurs récents travaux, les T/O ne dissimulent pas leur plaisir de jouer et d’être là (exception faite du claviériste, plus flegmatique, et absorbé par son rack de machines). Menée par le chanteur guitariste Laurent, dont le timbre de voix offre un doigt de similitudes avec celui du surexposé Chris Martin, la formation havraise vogue avec assurance, charisme et contrôle entre éclaircies intimistes à la mélancolie rémanente et une power-pop fougueuse où l’électronique exerce un droit de parole quasi-perpétuel. Un set carré et maîtrisé on l’on voit se croiser les spectres dramaturgiques et emphatiques de Coldplay, ceux plus fébriles et tendus de Chokebore ou Unwound, avec au milieu une soif inextinguible et jamais vaine de renouveler et émailler le tableau aux outils synthétiques, un peu comme chez Lali Puna ou leurs cousins germains et revêches Couch.
Attendus de pied ferme après un »Lightbulbs » un peu trop briqué et bienséant, les Fujiya & Miyagi débutent avec une douceur qui n’a d’égal que la maîtrise et l’efficacité du propos. Un propos qui s’oriente volontiers vers un disco dégarni en voie de décélération, où les déhanchements funky sont de rigueur et la descendance krautrock bien digérée. Avec en toile de fond un défilé technicolor sur le thème du dé, qui n’en oublie pas pour autant de scander Fujiya autant que Miyagi, cette mécanique dansante et huilée se caractérise par la voix monocorde et régulière d’un David Best impassible, plus scatter que chanteur ; qui s’amuse à extirper de sa guitare, sinon des cocottes de rigueur, quelques digressions bienvenues dans ce monde d’ordinaire plus lustré. La fragmentation en syllabes, alignées avec précision et épilepsie, trouve une terre d’accueil idéale dans cette formation régie par la science des mathématiques : un bassiste dont l’élasticité lui permet de jongler entre syncopes désarticulées et répétition binaire, un claviériste fanatique des potentiomètres d’antan et générateurs de sons rétro-futuristes, et un batteur venu renforcer les rangs de ses coups de baguette impétueux, anguleux et imperturbables, jusqu’à ce qu’anoxie s’en suive… Un set ascensionnel qui se solde par deux rappels assidus, et un final en forme d’épopée krautrock ultra-sonique, qui métamorphose l’espace d’un instant Fujiya & Miyagi en répliques masculines d’un autre quatuor de Brighton, les sauvageonnes Electrelane. Un sommet de rivalité atteint.
Sébastien Radiguet
photos : Nicolas Carlier