Il y a trois ans Be with Me du singapourien Eric Khoo avait été un véritable bonheur de cinéma, tant par son histoire où se mêlaient les destins de plusieurs personnages tous motivés par le désir pulsionnel de vivre avec l’être aimé que par l’atmosphère infiniment douce et humaniste qui l’imprégnait, soulignée également par la petite musique mélancolique qui le parcourait. My Magic, petit film d’à peine 1h15, est incontestablement plus mineur que l’opus précédent, pourtant on y retrouve très vite une ambiance identique, la même attention portée aux personnages et cette capacité à créer des moments de pure grâce, d’une émotion palpable, en dépit d’un sujet douloureux et d’un contexte spectaculaire, tremplin évident à des scènes dérangeantes pouvant susciter un certain malaise chez le spectateur sensible.
En effet, My Magic met en scène Francis, un magicien, qui élève seul son fils depuis que sa femme l’a quitté. Sombrant dans l’alcool, il occupe un poste de serveur dans une boite de nuit. Livré à lui-même, son fils le récupère au petit matin ivre mort, endormi dans ses vomissures. Pour gagner davantage d’argent et pouvoir ainsi offrir à son fils une meilleure éducation et de réelles chances de s’en sortir, Francis accepte de reprendre son métier de magicien. Mais il s’agit ici d’une magie bien particulière, qui confine plutôt avec des pratiques de fakir, où il est question de mordre dans des verres, d’avaler et de cracher du feu, de se rouler dans des débris de verre. Autant de numéros sensationnels qui glacent et ravissent les spectateurs de la boite et augmentent le pactole de l’illusionniste, obligé d’aller toujours plus loin dans les sévices qu’il consent à infliger à son corps meurtri, portant tous les stigmates de son art cruel. Cruel, le monde l’est de toute évidence, ainsi que Francis le raconte à son fils, lui suggérant à demi-mots la lutte sans fin qu’il devra mener pour trouver sa place dans un monde par ailleurs de plus en plus déshumanisé et violent.
On l’aura compris, : My Magic est un splendide film d’amour et de sacrifice. Celui consenti par un homme à priori peu engageant et peu impliqué dans sa responsabilité paternelle, que l’on voit d’abord comme un ivrogne obèse et dégoûtant, n’accordant qu’une attention distante à son fils. Les apparences sont parfois trompeuses car, derrière un physique impressionnant, se cache un être généreux, dont les appels téléphoniques plaintifs et désespérés à une épouse envolée révèlent le propre désarroi.My Magic fonctionne donc en permanence sur la dualité qui oppose les scènes insoutenables du cabaret aux instants de plus en plus intimes qui rapprochent le père et le fils. Ainsi la dernière partie du film, prenant place dans une sorte de palais désaffecté, mais lourd de souvenirs pour le magicien, se nimbe-t-elle de la douceur et de la magie qui font la marque de Eric Khoo.
Dès lors, My Magic touche à l’universel en évoquant l’idée de transmission, de passage de relais entre un père rongé par son échec et un fils percevant déjà l’immense solitude à laquelle il va être confronté. Ce serait aussi ne pas connaître Eric Khoo, maître de la délicatesse et de la subtilité, qui réussit à instiller dans les moments les plus poignants une dimension onirique, transformant le mélodrame bouleversant en un conte magnifique.
Patrick Braganti
My Magic
Film chinois de Eric Khoo
Genre, : Drame
Durée, : 1h15
Sortie : 5 Novembre 2008
Avec Francis Bosco, Jathishweran Naidu, Grace Kalaiselvi
La bande-annonce, :