A cette époque qui est la nôtre, où Animal Collective, Gang Gang Dance ou autres Konono No1 se voient portés aux nues pour leurs propositions musicales hybrides avides de polyrythmies tribales, le buzz médiatique qui auréole The Ruby Suns et The Dodos n’a rien de fortuit. N.’ayant rien d’immérité non plus, il est légitime de se questionner sur la maigre fréquentation de ce samedi, et de l’écrire noir sur blanc : mais que font les gens ?
Qu.’à cela ne tienne, le double mixte néo-zélandais The Ruby Suns ne se laisse pas abattre par le public clairsemé qui lui fait face, et distille sa bonne humeur primesautière. Chacun muni d’une armada de machines et samplers, Ryan McPhun et sa comparse Amee Robinson, aux allures de marionnette plaisamment cloche, jonglent respectivement avec batterie de poche édulcorée et basse sommaire. Basée sur un recours quasi-systématique aux boucles samplées, qui mêlent rythmiques dansantes, guitares déliquescentes, vibraphones juteux et effluves tropicaux, leur musique trahit une indéniable appétence pour un exotisme mêlé de psychédélisme. A l’évidence influencés par la vague lysergique new-yorkaise sur laquelle surfent allègrement Animal collective ou les sages et délicieux High Places, ces deux gais-lurons frappés par le soleil matérialisent un improbable croisement entre une Compagnie créole intoxiquée et frivole en train de jammer avec Panda Bear. Une première partie faussement dilettante synonyme de dépaysement et légèreté.
Et quand vient l’heure de goûter aux Dodos, le petit monde demeure plus que jamais éveillé et aux aguets. Seul voûté sur sa guitare, Meric Long divulgue son rapport passionnel aux courants musicaux blues et ragtime, avec un monologue instrumental ascensionnel qui le hisse au rang de filleul en devenir du grand Jack Rose. Et le phénomène de prendre de l’ampleur avec l’arrivée du batteur Logan Kroeber, tambourin scotché au pied, véloce à souhait, tabassant ses fûts avec la verve inhérente à son passé métal, mais avec l’érudition propulsive des tribus du Ghana et du Togo. Dans ce croisement de fer et de feu, un troisième membre, discret mais crucial, apporte sa pierre à l’édifice, que ce soit via le martèlement primitif d’une poubelle distordue, ou via de petits rais lumineux et mélodiques de toy piano ou vibraphone ; le tout nécessairement accompagné de quelques pas de danse chamanique et orgastique. Passant sans mot dire d’accalmies intimistes nous rappelant que The Dodos c’est aussi un talent mélodique sans faille, à des envols fiévreux et extatiques ; le trio fait mieux que défendre son épatant et revigorant Visiter, il le magnifie avec une intensité dont les absents pourront longuement se lamenter de ne pas avoir été témoins.
Texte : Sébastien Radiguet
Photos : Wilfried Lamotte