Un barrage contre le Pacifique

affiche_6.jpgUn barrage contre le Pacifique met en exergue deux constats amers d’échec, : être un remarquable documentariste ne conduit pas forcément à  être un cinéaste de qualité et s’attaquer à  l’oeuvre de Marguerite Duras demeure une gageure jusqu’à  présent irrésolue. Bénéficiant d’un capital ô combien légitime de compétence et de reconnaissance en tant que témoin et transmetteur de la tragédie génocidaire des camps de la mort des Khmers Rouges sous le régime de Pol Pot, dont il s’échappa lui-même à  quinze ans, Rithy Panh ne réussit pas vraiment à  relever le défi, un demi-siècle après René Clément, d’adapter le roman de Duras qu’elle disait être son préféré.

Un roman retraçant la jeunesse de l’auteur de L’Amant, déjà  tourné vers le monde asiatique comme le sera une grande partie de son oeuvre littéraire, avec notamment les figures récurrentes de Anne-Marie Stretter, du vice-consul ou de l’amant chinois. A dix-sept ans, elle suit au Cambodge son frère ainé Joseph et sa mère récemment veuve, qui a racheté une terre que l’administration coloniale l’a incitée à  posséder. Mais c’est une mauvaise affaire car les rizières régulièrement inondées n’assurent pas des récoltes fructueuses et conduisent inexorablement vers la ruine, dont seuls le riche chinois Monsieur Jo, épris de la jeune fille, et la construction de barrages sommaires avec des pieux pourraient sauver la famille.
Pour mener à  bien ce projet, Rithy Panh avait un atout qui se transforme hélas en handicap, : il est lui-même cambodgien et supposé être empreint de la culture et des usages locaux. Sa retranscription de l’époque colonialiste des années 30 n’échappe cependant pas à  la caricature et se noie dans une débauche de détails qui donnent un film certes très beau, très léché – dont on ne peut nier les aspects sensoriels et exotiques – mais par ailleurs très empesé, manquant curieusement de souffle et de chair.

Pourtant, l’histoire n’en manque pas qui se joue aussi bien sur la désillusion infligée par une colonie fantasmée, source de richesse potentielle, devenue le refuge d’un certain vice et d’une dérive existentialiste que les clients déjà  fantomatiques du clubhouse illustrent très bien, que sur le délitement d’une famille où la mère perd pied jusqu’à  estimer la valeur marchande de sa fille et où Joseph, le mâle de service, embarrassé d’un amour maternel envahissant, menace à  chaque nouvelle crise de quitter la maison.
Il faut attendre les deux tiers du film pour que soit perceptible un mouvement ayant un tant soit peu à  voir avec ce qui se joue de terrible et de définitif entre une mère malade et ses deux enfants excédés et prisonniers. Dans le rôle de la mère autoritaire, capricieuse et fantasque, égarée dans ses propres délires, il était difficile de ne pas imaginer Isabelle Huppert, actrice de l’intériorité et du déséquilibre par excellence, donc comédienne durassienne, qui se révèle à  la fois convaincante et convenue – le regard fixe plongé dans le vague, la tête inclinée, le sourire à  peine ébauché comme autant de marques de fabrique reconnaissables.
Pour leur part, Gaspard Ulliel – exhibant son corps transformé avec un plaisir évident et passant ainsi de l’adolescent androgyne à  l’homme accompli – cantonne par trop son personnage à  celui d’un rustre et d’un sauvage. Quant à  la très jolie, mais terriblement lisse Astrid Berges-Frisbey, elle ne parvient guère à  nous faire ressentir en quoi ces événements fondateurs et traumatisants allant jusqu’à  des imprécations de mort vont constituer le terreau d’une oeuvre incomparable.

L’impression générale laissée par l’adaptation du réalisateur de S21, la machine de mort Khmère rouge est celle de la révérence, comme s’il était paralysé par la hauteur symbolique du monument auquel il s’attaque. Cela donne donc un film même pas ennuyeux – mais le dépaysement y contribue largement – mais qui n’est jamais vraiment captivant, nous maintenant presque constamment en marge des affres et des tourments d’une famille en pleine décomposition jusqu’à  une dernière demi-heure optant pour le romanesque et le charnel et rompant avec une facture trop classique.

Patrick Braganti

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Un barrage contre le Pacifique
Film français, belge de Rithy Panh
Genre : Drame
Durée : 1h55
Sortie : 7 Janvier 2009
Avec Isabelle Huppert, Gaspard Ulliel, Astrid Berges-Frisbey

La bande-annonce :

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