« Allez mesdames et messieurs, embarquez pour un dernier tour, attention, mesdames et messieurs, cramponnez-vous, attention…c’est parti !! » La fête, les manèges, les soucoupes volantes, c’est le quotidien des Cheval père et fils, forains depuis des générations. Un nom singulier pour une famille au pluriel, enfin un petit pluriel, la jument s’étant éclipsée loin de la vie nomade et pas très rose que lui offrait son cher et tendre filou, adepte de la revente de métaux à ses heures perdues.
Des Cheval très liés, ça oui, liés devant les épreuves, devant les difficultés de vivre quand on bosse pas toute l’année, qu’on vit à Saint-Ambert au début des années 60, »une ville tellement inutile que si demain les Russes faisaient péter une bombe atomique là je crois qu’il y a que les morts qui s’apercevraient de sa disparition » et qu’on a la peau légèrement basanée ce qui n’est pas très recommandé en pleine Algérie Française. Et quand, par dessus-tout, on est un gamin qui rêve de devenir un homme, manque plus que des organes reproducteurs en parfait état de marche pour que tout change.
Petit Cheval y croit, c’est lui qui raconte, avec sa gouaille crue, ses idées poétiques qui jaillissent au détour de phrases à la ponctuation fantaisiste. Et on les suit, lui et le paternel taciturne, dans leur cavale contre la mort, tantôt à se débrouiller dans un squat glauque entre une décharge et un camp de Gitans, tantôt sur les routes de France à donner le peu de bonheur qu’ils peuvent offrir aux jeunes enfants qui rêvent. Eux n’arrivent plus à rêver, leur vie sordide les en empêche, autant donc mettre de l’évasion dans l’évocation de leur existence, comme le fait si bien petit Cheval qui crève d’envie de grandir, de baiser et de s’enfuir. Quitte à en perdre son innocence, son prépuce ou les siens…
Ambiance sixties (mais loin de »salut les copains »), portraits de marginaux et de dérouillards d’il y a 50 ans (mais qui résonnent furieusement contemporains dans notre Hexagone actuel), passages triviaux et magnifiques tout à la fois, Richard Morgiève ose un romanesque du bidonville, comme un Mark Twain français qui s’attacherait à sonder les maux sociaux inaltérables selon les époques. Et avec lesquels, malgré tout, se conjuguent des sentiments éternels : l’amour, la rage, le bonheur, la mort, l’espoir. C’est du grand art, ce brassage de tellement d’émotions avec une telle débauche de »mots ravageurs » comme aime à le rappeller notre petit Fanfan la Tulipe des fêtes municipales.
« Tourne, tourne, grande roue, tourne jusqu’à l’ivresse, jusqu’à l’extase, jusqu’à l’oubli.. »
Jean-François Lahorgue
Cheval
de Richard Morgiève
Editions Denoël
234 pages, 18 €¬
Date de parution : janvier 2009