C’est en quelque sorte à un brouillage de pistes que se livre André Téchiné avec La Fille du RER. Comme on le sait, le film est inspiré d’un fait divers de 2004, : une jeune femme dit avoir été agressée dans le RER D par une bande de jeunes gens qui, la croyant juive, lui dessinent des croix gammées sur le ventre et lui entaillent le corps et le visage. Alors que la machine médiatique s’emballe avec son lot de déclarations et d’indignations politiques dénonçant un acte antisémite intolérable et inacceptable – jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat – on découvre qu’il s’agit en fait d’une mystification. Cette jeune fille a tout inventé. On voit bien ce qu’il y a de mystérieux et d’incompréhensible dans une telle attitude et en quoi cela a pu passionner le réalisateur des Témoins.
Mais, au lieu de refaire l’histoire à l’envers du fait divers, le cinéaste choisit des voies tangentes sur lesquelles il construit le portrait d’une jeune femme d’aujourd’hui en imaginant un contexte purement fictionnel qui porterait en lui les raisons d’un soudain dérapage. Divisé en deux parties, La Fille du RER commence justement par une exposition de ce contexte, nommée Les Circonstances, et non pas les causes. André Téchiné s’emploie à ne pas fournir d’explications, nonobstant il fait de Jeanne son héroîne une adepte du roller, donnant ainsi l’impression d’une fille planant, n’ayant pas encore pris sa vie en main, en fait indéterminée quant à ses volontés. C’est pourquoi sa mère s’occupe-t-elle beaucoup de sa recherche de boulot, allant jusqu’à rédiger les lettres de motivations. Et de la même manière, Jeanne est à la fois capable de s’installer avec un garçon, un lutteur brut de décoffrage, apparemment honnête et sincère dans ses sentiments, en opposition avec son milieu social, tout comme elle affabule sur un avocat juif de renom, ancienne connaissance de sa mère. Donc une propension à enjoliver ou à détourner la vérité sans qu’il soit possible d’identifier où cette manie trouve sa source.
La seconde partie, intitulée Les Conséquences, met le personnage de l’avocat friqué et médiatique plus en avant, chargé par la mère de Jeanne de l’aider à débusquer le mensonge qu’elle pressent sa fille avoir échafaudé. On retrouve ici les marques auxquelles André Téchiné nous a davantage habitués, : enchevêtrement des personnages et des situations, réunion à la campagne autour d’une table, allégorie de la nature. Si certains personnages apparaissent mineurs (le fils et la belle-fille de l’avocat), d’autres (le petit-fils du magistrat) sont néanmoins chargés d’une plus lourde signification. Le réalisateur des Egarés regarde résolument du côté de la jeunesse, laissant les adultes à leur passé, leurs petites manigances et leurs minuscules arrangements.
Malgré la fluidité de la mise en scène, la direction d’acteurs toujours impeccable chez Téchiné : Catherine Deneuve chez son cinéaste de prédilection incarne avec crédibilité une mère de famille modeste, gardienne d’enfants, ; Michel Blanc confirme la qualité de se prestation comme dans Les Témoins et Emilie Dequenne instille charme et ambigüité à son personnage, il se dégage une impression perturbante de La Fille du RER. Comme si à force de ne pas vouloir être dans la recherche de causes, André Téchiné ne parvenait pas à épaissir la sauce. La ligne est le motif récurrent du film qui travaille aussi beaucoup sur la rupture et la rapidité. A partir d’un fait divers, André Téchiné se penche sur les dysfonctionnements de l’époque actuelle, qui malmène les notions de sens et de lien social. Le trouble éprouvé provient peut-être du pessimisme qui imprègne le film, dont les protagonistes semblent tous renvoyés à leur solitude. Résultat en demi-teintes pour un film inattendu et partiellement inabouti.
Patrick Braganti
La Fille du RER
Film français de André Téchine
Genre : Drame
Durée : 1h45
Sortie : 18 Mars 2009
Avec Emilie Duquenne, Catherine Deneuve, Michel Blanc, Nicolas Duvauchelle
La bande-annonce :