Le nouveau film de Sophie Fillières, Un chat un chat, confirme son art de la légèreté appliquée à des traumas plus profonds qu’ils en ont l’air. Le plaisir ressenti provient aussi de la sensation de pénétrer un univers particulier, résolument à la marge de ceux banalisés et stéréotypés que le cinéma nous propose habituellement…
Le titre en forme de répétition permet peut-être de lever un coin du voile à propos du dernier film de Sophie Fillières. L’idée de double traverse en effet Un chat un chat puisqu’il met en scène deux personnages étrangers au monde, dans une situation d’entre-deux où, en définitive, chacun va fournir à l’autre un tremplin à s’extirper d’un état dépressionnaire qui ne dit pas son nom, sous des dehors ludiques, voire loufoques. Une atmosphère que sait à merveille installer depuis maintenant quatre longs-métrages la réalisatrice de Gentille, une des premières promues de la Femis, où l’irrationnel et l’insolite sont servis par des dialogues extrêmement ciselés et littéraires, cultivant le sens du décalage et de la novation langagière à coups de discussions philosophiques et métaphysiques de haute volée.
Autant dire qu’un auteur en panne d’inspiration, en questionnement avec son identité, repartie vivre chez sa mère car son appartement est en travaux, constitue un matériau idéal et inépuisable pour Sophie Fillières. Et sa Célimène, qui préfère se faire appeler Nathalie, est à cet égard un sacré phénomène, : somnambule, elle cuisine d’étranges gâteaux avec coquilles d’oeuf incorporées et soudain muette, elle n’est plus capable que de communiquer par signes. En phase de rupture avec son petit ami, la drôle de proposition d’une jeune étudiante va-t-elle lui offrir une porte de salut, ? Après avoir observé, même espionné, l’écrivain en panne sèche, Anaîs lui propose d’écrire sur elle, d’en faire le sujet de son prochain livre.
Ce n’est guère important de savoir si le projet va ou non se concrétiser. Les codes et l’univers de Sophie Fillières n’obéissent certes pas aux règles habituelles. Ici, tout est décalé, primesautier et farfelu, sans pour autant provoquer l’agacement ou l’ennui. Car surnagent le plaisir des mots et un humour absurde, issu de situations cocasses que les protagonistes vivent pourtant avec effroi ou malaise, : la rencontre dans un café entre une Célimène privée de parole et un bel Hongrois renvoie directement au burlesque typique du cinéma muet.
Dans le rôle de Célimène, Chiara Mastroianni fait merveille parce qu’elle apporte à sa composition l’étrangeté qui la caractérise elle-même. Outre sa capacité à se mettre en bouche la langue particulière de la réalisatrice, qui va jusqu’à inventer de nouveaux mots (ah la scène du » débibochage » !!!), elle utilise aussi son corps et les expressions de son visage pour suggérer un étonnement continuel, une contrariété soudaine.
On ne voit bien qu’ Emmanuel Mouret aujourd’hui pour jouer avec autant de fraîcheur et d’apparente superficialité sur les rapports humains, amoureux, amicaux ou autres. C’est tout l’art de la légèreté appliquée à des traumas plus profonds qu’ils en ont l’air qui s’exerce ici. Le plaisir ressenti provient aussi de la sensation de pénétrer un univers particulier, résolument à la marge de ceux banalisés et stéréotypés que le cinéma, national ou pas, nous fait trop souvent pénétrer.
Patrick Braganti