Des rencontres fortuites peuvent parfois aboutir à un projet de cinéma atypique, en rupture complète avec ce qu’il nous est habituellement donné de voir. C’est le cas du Temps des amoureuses, long-métrage de 83 minutes, fruit d’une rencontre, puis d’une amitié grandissante, entre deux hommes. L’un s’appelle Hilaire Arasa, il vit à Narbonne où il est éducateur et tente de percer dans la chanson, mais il a été surtout célèbre pour avoir été un des comédiens non-professionnels recrutés par Jean Eustache en 1974 pour le tournage de Mes petites amoureuses, film que le réalisateur de La Maman et la Putain consacra à sa jeunesse et à la découverte des premiers émois amoureux. L’autre répond au nom de Henri-François Imbert, documentariste né à Narbonne, dont le film le plus connu s’intitule No pasarà n, album souvenir, belle réflexion autour d’objets collectés (des cartes postales) et assemblés dans un émouvant hommage aux républicains espagnols réfugiés en France pour fuir les franquistes à la fin de la guerre civile en 1939.
Obnubilé par l’oeuvre séminale de Eustache, Henri-François Imbert saisit l’opportunité de la rencontre pour élaborer un film revenant sur le tournage idyllique de Mes petites amoureuses, tout en tentant de récupérer un maximum de témoignages sur l’époque (le milieu des années 70) et en finissant par établir des comparaisons entre la jeunesse d’il y a plus de trente ans et l’actuelle, approchée aussi par le biais de l’activité de Hilaire Arasa. Tout ceci fleure bon la nostalgie et les regrets, le retour en arrière vers une tranche de vie qui demeure pour les quelques comédiens que Imbert parvient à recontacter une sorte de parenthèse enchantée inoubliable. Mais Le Temps des amoureuses est aussi celui d’une proximité qui s’instaure entre deux hommes, le réalisateur tenant à suivre l’apprenti-chanteur dans ses répétitions et ses premières prestations publiques.
En 2007, Nicolas Philibert avait proposé un film similaire avec Retour en Normandie en partant à la recherche des comédiens qui avaient joué dans le film-culte de René Allio, : Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère, lui aussi tourné au mitan des années 70. Force est de constater que le film de Philibert possédait une autre , envergure, interrogeant davantage l’expérience que cela avait été pour ces hommes et femmes modestes de participer à un projet hors du commun, en y ajoutant un suspense palpitant sur le sort de Claude Hébert, le jeune homme ayant interprété Pierre Rivière. Les deux opus utilisent le même dispositif, : la voix off du réalisateur commentant les différents stades de son travail. Mais celle de Henri-François Imbert, à force d’être douce, finit par être lénifiante, presque soporifique. Les bifurcations vers la nouvelle activité de Hilaire Arasa n’apportent rien de très passionnant, l’homme, sans doute pétri de bonnes intentions, se révélant un piètre chanteur aux textes plutôt convenus, aux revendications sociales et anticapitalistes que nombre des habitants de la région partagent. Quant aux dernières séquences, : un film de classe de neige en super-8 de Imbert écolier et une interview de quelques jeunes filles d’aujourd’hui n’ayant manifestement rien à dire, elles paraissent à tout le moins hors sujet.
On l’aura compris, : Le Temps des amoureuses prend rapidement la tangente vis-à -vis du film de Jean Eustache, qu’il évoque de loin en loin, à travers de très belles photos en noir et blanc. Tourné tour à tour en super-8 et en caméra numérique, bénéficiant d’un budget réduit, opérant sur un rythme très lent qui privilégie silence et écoute, encore accentué par le débit de la voix off, le film véhicule une nostalgie certaine, tout en s’efforçant de mesurer ce qu’il reste de Mes petites amoureuses et partant de Jean Eustache un tiers de siècle après. Puisse cet exercice sensible et délicat donner à de jeunes spectateurs le goût de (re)découvrir le cinéaste girondin, suicidé à 43 ans, dont l’influence se fait encore sentir (chez Philippe Garrel, en tout premier lieu).
Patrick Braganti
Le Temps des amoureuses
Film français de Henri-François Imbert
Genre : Documentaire
Durée : 1h23
Sortie : 11 Mars 2009
Avec Hilaire Arasa, Jean-Louis Dahmani, Aîssa Ihamouine
La bande-annonce, :